Homélie du 13 février 2005 - 1er DC
fr. Philippe-Marie Margelidon

Il est sans péché, il ne peut pécher le Verbe fait chair, le Fils de David, le Saint de Dieu. Jésus de Nazareth est saint, de la sainteté même de Dieu. Tout ce qu’il est et tout ce qu’il fait est saint, rien ne peut l’atteindre en fait de péché. Il ne peut le vouloir, mais seulement le subir ou l’enlever, comme l’agneau sans tâche. Et pourtant il a été tenté comme nous et pour nous, pour notre instruction et notre délivrance. Tenter, mais qu’est-ce à dire?

Être tenté, tout d’abord être mis à l’épreuve. En ce sens Dieu nous éprouve, Il permet que nous soyons éprouvés afin de vérifier l’authenticité de notre amour et de notre fidélité. C’est dans l’épreuve qu’on vérifie les vrais amis, dit-on parfois. Mais non pas que Dieu nous veuille du mal, mais Il se sert des événements de notre vie, pour qu’éprouvés, nous soyons fortifiés et affermis dans le bien. En ce sens la tentation d’épreuve est pour nous, et avec la grâce, une occasion et un moyen de sanctification, de croissance dans l’amour, et de mérite.

Toute vie chrétienne est un combat spirituel, une épreuve par laquelle nous pouvons prouver à Dieu, et peut-être à nous-mêmes, que nous l’aimons non seulement de bouche, mais de cœur et dans toute notre vie. Nous apprenons ainsi à nous en remettre dans la confiance et l’abandon à la divine Providence.

Être tenté, ensuite, c’est être sollicité par un mal, c’est-à-dire par un faux bien, un bien seulement apparent, mais qui nous plaît et nous attire. Il sollicite notre désir et attise notre amour. Cette tentation a le visage de la séduction et vise à conduire au péché. La tentation est parfois grossière ou vulgaire, le plus souvent elle est subtile, flattant en nous des inclinations moins basses, se mêlant de couleurs sympathiques. Cette sorte de tentation là, le Christ lui-même n’y a pas échappé. Pourtant, en lui, nulle inclination au péché, nulle complicité secrète. En ce sens le péché semble n’avoir aucune prise sur lui. Que peut vouloir dire être tenté, dans son cas, si la tentation ne peut s’insinuer en lui. Mais il faut nous rappeler que le mal commence quand naît un désir ou une attirance désordonnée qui nous incline à choisir ce bien apparent, partiel souvent mêlé, bien particulier immédiat qui aveugle notre jugement et nous détourne de ce qui en réalité constitue notre vrai bien. Notre conscience suivant d’un peu trop près les inclinations d’un cœur encore bien imparfaitement rectifié, se ferme à la lumière de la vérité et du vrai bien moral. Eh bien! si le Christ est sujet à la tentation, ce n’est pas qu’il ait pu désirer un mal ou une apparence de bien, mais il a pu éprouver en quoi tel ou tel bien particulier – la richesse, le pouvoir, l’autorité – étaient de soi désirables. Car enfin, toute richesse, tout pouvoir, et toute autorité ne sont pas en soi des maux, mais des biens, ou des moyens, dont la valeur se prend d’abord de la fin, puis de la manière de les acquérir et de les utiliser. Le démon savait bien ce qu’il faisait en le tentant par-là, c’est un rusé à l’intelligence tortueuse mais logique.

Dieu ne tente pas, Il permet que nous le soyons par le démon, puisque c’est par lui que le péché est entré dans le monde. N’est-il pas le Tentateur par excellence? Et le monde à son instigation, à son image, se fait comme lui, notre tentateur. La tentation naît bien de l’extérieur, et entre en nous parce qu’elle y trouve une secrète complicité de l’âme, ce qu’on appelle justement l’inclination au mal, qui demeure après que le baptême nous ait lavés du péché originel. Elle demeure en nous pour le beau combat et le triomphe du bien. Bien sûr nous savons trop combien il en faut peu pour basculer dans le mauvais camp: D’abord une simple pensée qui s’offre à l’esprit, ensuite la complaisance intérieure, un mouvement déréglé, et enfin le consentement. Comme dit l’Imitation de Jésus-Christ: L’ennemi envahit toute l’âme, lorsqu’on ne lui résiste pas dès le commencement. La tentation n’est pas un péché, elle le devient dans le consentement; or elle y tend de tout son poids. Succomber à la tentation, c’est affaiblir notre volonté, c’est être dépossédé de notre liberté. Pour y remédier, on nous conseille de fuir les occasions. Certes, c’est bon sens, mais à suivre ce conseil à la lettre, il faudrait renoncer à ne rien voir, ne rien entendre, ne rien sentir, ne rien toucher, que sais-je encore.

L’Évangile nous indique les bonnes armes du combat intérieur: la prière quotidienne et confiante, l’ascèse et le jeûne. Jeûne des choses futiles et inutiles, mais aussi de bien des choses nécessaires qui encombrent notre vie, l’envahissent et l’accaparent: l’incessant téléphone portable, l’ordinateur allumé à toute occasion, la télévision qui tue le temps et les relations. Bref, par la prière et l’ascèse, retrouver le goût du silence et du recueillement. Prière, ascèse, aumône: aumône de notre temps pour les parents et les amis oubliés et délaissés. L’humilité enfin, sans la quelle nous ne progresserons jamais, et il est bon que les épreuves de cette vie, quoique pénibles, nous y ramènent sans nous décourager.

Une dernière chose, pour finir. Les tentations ont au moins cette vertu qu’elles nous en apprennent sur nous-mêmes plus que tous les livres: nous savons souvent ce que nous pouvons; mais la tentation montre ce que nous sommes. Alors Seigneur, Toi qui es vainqueur du démon et de tout mal, ne permets pas que nous y succombions jamais. Amen!