Homélie du 8 avril 2007 - Jour de Pâques
fr. Élie-Pascal Épinoux

Ce premier jour de la semaine Marie-Madeleine vint le matin encore dans les ténèbres au sépulcre. Depuis ce vendredi soir où Joseph et Nicodème ont mis Son Seigneur dans le sépulcre y a t il une vie pour Marie-Madeleine? Quel visage aimé pourrait réjouir son cœur quand le seul qui nous a aimés comme le Père nous aime a été englouti dans le néant de la corruption? Femme en deuil elle marche le cœur enseveli sous la pierre du sépulcre dans le jour qui renaît. Mais voici: elle regarde la pierre enlevée du tombeau. La mort d’un être cher est toujours pour nous l’expérience d’une fermeture, celle du couvercle d’un cercueil ou de la pierre d’une tombe, d’autant plus douloureuse que nous savons qu’elle ne se rouvrira jamais, fermant à jamais ce qui fut notre relation… Face à cette pierre enlevée il n’y a d’autre explication pour Marie-Madeleine que la profanation: On a enlevé le Seigneur du tombeau et nous ne savons pas où on l’a mis. Prisonnière de la logique de mort et de néant qui est celle de notre humanité depuis la faute d’Adam, elle regarde la pierre roulée, mais ne voit pas le signe qu’elle lui adresse! Et pourtant ce sépulcre ouvert lui fait vivre la première étape de sa Pâque de son exode hors des ténèbres de la mort: elle court trouver Simon Pierre et l’autre disciple celui que Jésus aimait.

Marie tu cherches le mémorial de ton Seigneur pour y raccrocher ton cœur: tu ne le trouveras pas dans la pierre inerte du sépulcre mais dans la communion d’amour de ses disciples, là et là seulement se trouve la mémoire vivante et vivifiante de Jésus.

[|Si quelqu’un m’aime, il gardera ma parole, et mon Père l’aimera et nous viendrons vers lui et nous nous ferons une demeure chez lui. (Jn 14,23)|]

Pierre sort donc avec l’autre disciple et ils viennent au sépulcre. Depuis cette nuit dans le jardin où il tira l’épée contre le serviteur du Grand Prêtre, y a t il eu un matin pour Simon Pierre? Quelle parole de miséricorde pourrait apaiser son âme maintenant que Celui par qui la grâce et la vérité sont venue a été broyé par la haine et l’injustice des hommes? Homme de remord il court entravé des bandelettes de la culpabilité. Depuis cette nuit où l’autre disciple le fit entrer dans la cour du Grand Prêtre et où il s’est renié lui-même en reniant son Maître, y a t il une vie pour Simon Pierre? Quelle parole créatrice pourrait le rendre à lui-même maintenant que Celui qui est la Résurrection et la Vie a été jeté dans la fosse du néant? Homme de remord il court le souffle oppressé par la pierre de son péché. Mais voici: il contemple les linges à plat et le tissu qui était sur la tête enroulé lui en place. Devant la pierre roulée du sépulcre Marie-Madeleine avait cherché refuge auprès des disciples de Son Seigneur, Simon Pierre, lui, entre dans le tombeau: il confesse humblement que le mort c’est lui. Son amour présomptueux « je donnerai ma vie pour toi » (Jn 13,37) s’est montré inconséquent tirant l’épée contre son prochain, et l’a conduit au néant « je ne suis pas » (Jn 18,17;25).

Prisonnier de notre raison humaine, aveugle à toute réalité spirituelle depuis la faute d’Adam, Simon Pierre contemple la chrysalide vide des linges funéraires sans comprendre le signe qu’elle lui adresse. Et pourtant cette entrée dans le tombeau fait vivre à Simon Pierre la première étape de sa pâque, de son exode hors du péché. Simon Pierre tu cherches un chemin pour sortir de ta mort? Contemple cette chrysalide de linge intacte et pourtant vide, elle te dit que la mort de Ton Seigneur fut la mort de ta mort: Et inclinant la tête il remit l’Esprit (Jn 19,30) recréation du monde comme au commencement quand l’Esprit planait sur les eaux (Gn 1,2). Et de son coté sortit aussitôt du sang et de l’eau (Jn19,34) purification des péchés et engendrement à la vie d’en Haut. Heureux es-tu Simon Pierre toi qui entrant dans le sépulcre te reconnaît comme mort car le Christ est ressuscité d’entre les morts, par sa mort la mort, la tienne / la notre dans le péché, est morte, et à ceux qui sont dans les tombeaux, toi / nous, il donne la Vie.

L’autre disciple arriva le premier au tombeau, se penchant il regarde les linges à plat et pourtant il n’entra pas. Depuis ce jeudi soir dans la lumière chaude et tendre des lampes éclairant le dernier repas du Seigneur, y-eu-t-il une nuit pour le disciple qu’il aimait? Quel péché, pas même le reniement de Simon Pierre, pourrait enténébrer celui qui est allongé dans le sein de Son Seigneur, dont les yeux voient les gestes de service, dont les oreilles entendent les paroles de consolation et dont le cœur s’enivre de la compassion de Celui qui est Amour? Homme nouveau disciple de l’amour jusqu’à la fin il court avec Simon Pierre, ensemble. Depuis ce vendredi soir où il se tenait près de la Mère de Jésus au pied de la croix de Son Seigneur, y eut il une mort pour le disciple qu’il aimait? Quelle mort, pas même celle de Son Seigneur, pourrait engloutir celui qui à cette date là accueillait chez lui la Mère de la Vie, et se laissait enfanter par elle en l’humanité nouvelle du Verbe fait chair?

Homme nouveau disciple de l’amour jusqu’à la fin il arrive le premier au tombeau et pourtant il n’entre pas. Mais lui qui a vu le sang et l’eau couler du côté ouvert de Son Seigneur ne craint pas de plonger son regard dans le sépulcre ouvert; lui qui a reposé dans le sein de Son Seigneur quand celui-ci donnait la bouchée nuptiale à Judas, sait qu’on ne peut entrer dans le mystère que par l’amour « celui qui aime est né de Dieu et connaît Dieu » (1 Jn,4,7), aussi par amour court-il en frère, ensemble avec celui qu’il a entendu renier Son Seigneur, et par amour le laisse-t-il entrer le premier dans le sépulcre selon la place voulue pour lui par le Seigneur. Alors il peut entrer et la chair ré-enfantée par la Mère du Verbe fait chair, l’âme ré-engendrée d’eau et d’Esprit, le cœur transfiguré par l’amour: il voit et il croit.

Reconnaissons-le frères et sœurs, cet évangile du dimanche de Pâques nous déroute: comment célébrer le Ressuscité sans récit de manifestation si possible grandiose du Ressuscité? Mais ce n’est pas à Lui de revenir vers nous pour nous donner je ne sais quelle preuve humaine et matérielle de sa résurrection, c’est à nous d’aller vers Lui et d’entrer dans la réalité nouvelle du Royaume. Dès vendredi soir il nous était donné à voir que dans le combat admirable de la Croix, c’est la mort qui est morte et Lui, la Vie, qui triomphe. Mais comment entrer dans cette vie nouvelle? Avec Marie-Madeleine venons chaque premier jour de la semaine trouver les disciples: la communauté église;célébrons ensemble le mémorial vivant et vivifiant du Ressuscité: l’Eucharistie;faisons des 52 dimanches de l’année une unique Pâque déchirant la prison du temps et goûtant déjà l’éternité. Avec Simon Pierre contemplons avec humilité les signes qui nous sont donnés: l’eau et le chrême du baptême, le pain et le vin de l’autel. Qu’illuminés par les divines paroles de l’écriture nous y discernions la présence et l’action du Ressuscité et de Son Esprit.

Avec le disciple qu’Il aimait laissons nous saisir totalement par la grâce de notre baptême où nous renaissons homme nouveau. Que dimanche après dimanche, Pâques après Pâques nous soyons toujours plus transformés en Lui jusqu’au jour où Lui étant devenu semblables nous Le verrons tel qu’Il est.(cf. I Jn,3,2)