Homélie du 27 mai 2007 - Pentecôte
fr. Emmanuel Perrier

Le problème avec un esprit en général, et l’Esprit-Saint en particulier, c’est que c’est un esprit: on ne le voit pas, on ne le sent pas, on ne l’entend pas, on ne le maîtrise pas. Un esprit est insaisissable. Un esprit, c’est caché, ou alors ce n’est pas un esprit. Vous me direz que rien n’empêche un esprit de se manifester, et que d’ailleurs, c’est à ce moment-là que ça devient excitant.

N’est-ce pas l’expérience des apôtres à la Pentecôte? Le violent coup de vent, les langues de feu qui se divisent et se posent comme des mitres sur la tête de chacun, l’annonce de l’Évangile aux pèlerins de Jérusalem venant de toutes les nations, dans toutes les langues.

Ça, c’est l’Esprit-Saint comme on l’aime: ça déborde d’allégresse et d’entrain, la vie dans le Christ avance toutes voiles dehors, et l’on ne voit pas bien, dans ces conditions, ce qui pourrait arrêter l’Évangile. Eh bien, je vais vous le dire, frères et sœurs, ce qui pourrait bien arrêter l’Évangile: c’est que l’on n’ait pas très bien compris qui est l’Esprit-Saint. C’est qu’on se fasse de l’Esprit-Saint une idée si pauvre, si magique, si ratatinée, qu’on ne le laisse plus agir dans notre vie comme Lui, Il l’entend. Et il me semble qu’il y a 3 manières de recevoir ce récit de la Pentecôte, qui sont 3 manières de s’ouvrir ou de ne pas s’ouvrir à l’action de l’Esprit-Saint. Et dans ces 3 attitudes il y en a deux qui empêchent l’Esprit-Saint d’être l’Esprit-Saint en nous.

La première manière, c’est celle du superstitieux. Le superstitieux est friand de rencontres avec l’Esprit-Saint, il cherche à vivre de nouvelles pentecôtes parce que ce sont des expériences fortes, hors limites, marquantes, exceptionnelles. Il attend que l’Esprit-Saint fasse de lui un super-héros de la foi, délivré de ses limites, de ses difficultés et de ses soucis. Avec l’Esprit-Saint, toute entrave s’évapore comme neige tombant dans un volcan. L’Esprit-Saint c’est la solution divine disponible sur simple coup de fil: SOS Esprit-Saint. L’Esprit-Saint, c’est l’expérience spirituelle 100 % garantie. Le superstitieux ne se trompe pas en voyant dans la rencontre avec l’Esprit-Saint une rencontre extraordinaire. Il se trompe en faisant de l’extraordinaire une rencontre avec l’Esprit-Saint. Et il s’obstine en essayant de maîtriser l’Esprit-Saint, en le convoquant à sa demande, en lui demandant de décider à sa place, en désirant plus ses dons que sa personne. C’est oublier que l’Esprit-Saint est insaisissable.

La seconde attitude qui empêche l’Esprit-Saint d’être l’Esprit-Saint en nous, c’est celle du journaliste qui se serait faufilé dans le Cénacle. Le bon journaliste, c’est celui qui prend du recul par rapport à l’événement. Il s’en approche le plus possible, il côtoie les apôtres, mais il prend garde pour rester objectif de ne pas y être partie prenante: les flammes de feu, c’est bon pour les apôtres ! On assiste, mais on ne participe pas. Or, si cette méthode a fait ses preuves dans les débats politiques et les matches de football, elle est catastrophique avec l’Esprit-Saint. Tout simplement parce qu’on ne peut connaître l’Esprit-Saint sans être plongé dans l’Esprit-Saint. Le journaliste présent au Cénacle le jour de la Pentecôte observe l’Église en train de naître, mais il est un observateur extérieur à l’Esprit-Saint. Il ne peut rien comprendre à l’Église parce qu’il n’a pas de contact avec le principe de sa vitalité, qui est l’Esprit-Saint: c’est comme vouloir étudier la biologie, la science de la vie, en disséquant des cadavres. Dans les apôtres et leurs successeurs, il voit un personnel administratif et répressif, dans la Messe un culte, dans les sacrements des rites, dans les dogmes des œillères pour l’intelligence, dans la morale un code de la route, dans la Parole de Dieu un recueil de belles histoires. Bref, la Pentecôte est pour lui un rêve, une utopie pour croyants un peu exaltés: les apôtres parlent peut-être toutes les langues, mais aucun journaliste ne peut comprendre ce qu’ils disent. Regarder l’Église hors de l’Esprit-Saint, c’est aussi morbide que de lire un rapport d’autopsie. Car l’Esprit-Saint est l’âme de l’Église.

L’erreur du journaliste consiste à vouloir approcher de l’Esprit-Saint sans appartenir à l’Esprit-Saint, en refusant de céder à ses motions, à ses invitations, à ses gémissement intérieurs. Il pose des limites à la place de Dieu dans sa vie, des limites à sa conversion, des limites au don de soi pour Dieu et le prochain, des limites à son désir de sainteté. Les exemples sont en nombre infini: tel religieux qui résiste aux demandes de son supérieur, tel prêtre ou évêque qui n’accompagne pas de nouvelles initiatives, telle commission ou tel mouvement qui refuse de se réformer, tel jeune qui a peur de laisser Dieu entrer dans sa vie, tel couple qui tarde à se pardonner, telle personne qui remet à plus tard un sacrement, la prière, la lecture de la Bible ou celle du catéchisme sur un point de foi qui la préoccupe, une retraite… On reçoit une grâce, mais on néglige de la faire fructifier. On laisse cette lumière s’affaiblir, puis s’éteindre. En tout cela, on bride, on étouffe cette spontanéité spirituelle, cette confiance d’enfant qui s’abandonne à la guidance de l’Esprit. On est comme un arbre qui ferait des nœuds à ses branches pour s’empêcher de pousser trop haut, trop bien.

La troisième attitude face à la Pentecôte consiste à accourir au Cénacle, non pour faire une expérience spirituelle forte comme le superstitieux, non pour regarder ce qui se passe de l’extérieur, mais pour recevoir, pour se livrer tout entier à l’Esprit-Saint. Voilà ce que l’Église nous propose aujourd’hui: être plongés dans l’Esprit-Saint comme au jour de la Pentecôte. Et alors, tout à coup, la création et l’Église apparaissent sous un jour nouveau, la création et l’Église apparaissent comme façonnées, pétries, pénétrées par l’action de l’Esprit-Saint. Voyez-vous frères et sœurs, depuis la première Pentecôte, une grâce unique a été donnée aux chrétiens: parce que l’Esprit-Saint vit en nos cœurs, nous sommes capables de voir les traces de son œuvre.

L’Esprit-Saint a d’abord laissé son empreinte, sa marque de fabrique dans la création. Ses noms sont Vie, Don, Amour, et tous l’univers reflète quelque chose de ces noms. L’Esprit est Amour: Dieu aurait pu créer un univers statique, immobile, où chaque chose reste sans contact avec les autres. Eh bien non: il y a une espèce de loi d’attraction universelle, qui régit les mouvements des planètes, qui ordonne les rapports des êtres vivants entre eux, qui fait de l’amitié et de l’amour l’essentiel de la vie des hommes.

L’Esprit est Vie: Dieu aurait pu créer un univers amorphe, stérile, où chaque chose avance sans but et sans finalité. Eh bien non: il y a un foisonnement infini et constamment entretenu dans la création, une puissance vitale qui anime la nature, qui fait jaillir les sources et les fleurs, qui conduit l’homme à chérir la vie comme son bien le plus précieux.

L’Esprit est Don: Dieu aurait pu créer un univers égoïste, où chaque chose accumule ce qu’elle reçoit sans jamais chercher à transmettre. Eh bien non: il y a comme une loi universelle du rayonnement, de la diffusion de soi. Le soleil est fait pour luire, les vivants pour donner la vie, les sociétés pour transmettre une culture.

Mais l’Esprit-Saint fait plus encore que laisser son empreinte. Il vient s’unir aux hommes pour leur donner la vie même de Dieu, pour transfigurer leur cœur de l’Amour de Dieu. Cela a commencé avec la Révélation, lorsque l’Esprit a parlé par les prophètes, lorsqu’il a fécondé la Vierge Marie, lorsqu’il a rempli l’humanité du Christ de ses dons et de sa grâce, lorsqu’il est descendu sur les apôtres, lorsqu’il vient, aujourd’hui, dans les sacrements, dans l’écoute de la Parole de Dieu, ou encore en suscitant de nouveaux saints qui répandront la lumière de l’Évangile dans le monde. En tout cela, dans chaque visite que Dieu nous fait lorsque nous lui sommes unis par les sacrements et la vie de foi, d’espérance et de charité, l’Esprit-Saint nous introduit dans la vie même de Dieu. Il suscite en nous cette parole que seul le Fils unique peut prononcer: «Père». Il réalise en nous, dans le temps, ce qu’il est éternellement dans le mystère de la Trinité: l’Esprit qui unit le Père et le Fils.