Frères et sœurs, nous allons, je l’espère, être nombreux à être guéris ce matin d’une bien étrange maladie. Il ne s’agit non pas d’un virus contagieux, mais d’une sorte de surdité partielle dont les symptômes sont les suivants. A l’audition d’un passage biblique, dès que certains mots clefs sont associés au nom de Dieu, tels que colère, vengeance ou même justice, nos oreilles se font tout-à-coup « sélectives ». C’est pour ainsi dire chez beaucoup d’entre nous de l’ordre du réflexe. Notre intelligence percevant ces mots comme une atteinte à l’idée même de Dieu – un Dieu bon ne peut pas être un Dieu vengeur – on en vient à devenir systématiquement étanche à toute une partie de l’Écriture sainte.
Hors dans l’Écriture, Il n’y a pas de textes qui seraient moins inspirés que d’autres, surtout parmi ceux de l’Ancien Testament, si bien que l’on pourrait « faire la sourde oreille » sans manquer à l’essentiel. Dans la Bible, tout est à recevoir comme Parole de Dieu, même et surtout ce qui peut heurter nos oreilles. Pour cela, il faut laisser Dieu lui-même ouvrir ce matin nos oreilles et par suite nos intelligences à sa Parole.
« Voici votre Dieu, c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu… ». Cette prophétie d’Isaïe proclamée aujourd’hui en première lecture, il nous faut l’entendre jusqu’au bout, même si certains de ses mots gênent nos oreilles et rebutent notre intelligence. Pour guérir de cette surdité partielle qui nous prive des richesses de l’Écriture, notre esprit doit supporter pour un temps l’inconfort d’être déstabilisé par la Parole, comme le sourd-muet de l’Évangile fut guéri en souffrant pour un temps que le Christ lui introduisit les doigts dans les oreilles. Cela n’avait rien d’agréable pour le sourd, mais c’était nécessaire à sa guérison. La Parole n’est pas toujours douce à nos oreilles, mais il nous faut l’entendre.
La Parole en Isaïe nous dit aujourd’hui que le temps de la vengeance de Dieu arrive. Maintenons les oreilles ouvertes, malgré la gêne. « Voici votre Dieu, c’est la vengeance qui vient, la revanche de Dieu. Il vient lui-même et va vous sauver. » Et voici notre attention récompensée et notre intelligence illuminée par la richesse inouïe de la Parole. Cette vengeance divine qui vient, cette revanche, ce n’est rien d’autre que le salut de Dieu.
Vengeance et salut. Il y a là un rapprochement de mots qui choque notre sensibilité. Et pourtant, malgré le caractère antinomique de ces termes, il y a pour nous une vérité à entendre. Dieu a choisi le choc des mots pour révéler un de ses traits de caractère. Le vocable de la vengeance ou de la colère nous dit l’intensité de l’amour divin pour nous. Dieu ne peut se résoudre à voir l’injustice et le mal accabler ses enfants. Pour reprendre les mots du prophète Osée, quand l’homme s’éloigne de Dieu pour suivre son péché, Dieu devient comme un lion, comme un léopard aux aguets, comme une ourse privée de ses petits, prête à fondre sur sa proie pour récupérer ce qui lui appartient. (Os 13, 7-8)
Ainsi, parler de la vengeance de Dieu, c’est tout simplement dire que Dieu ne se résoudra jamais à laisser l’homme sous l’emprise du mal. Dieu a en horreur le mal, surtout lorsqu’il afflige ce qui est précieux à son cœur. La vengeance divine ne dit rien d’autre que l’ardeur de l’amour divin pour ses créatures. Et cette vengeance qui vient, cette vengeance prophétisée par Isaïe, qui ouvrent les yeux des aveugles et les oreilles des sourds, c’est le Christ. Jésus est la revanche de Dieu sur le mal. En suivant le langage paradoxal de l’Écriture, il est possible d’affirmer que Jésus est l’incarnation de la vengeance divine, telle que l’Écriture l’entend. Jésus manifeste en sa chair l’amoureuse et véhémente sollicitude de Dieu que le malheur de l’homme ne laissera jamais indifférent.
Frères et sœurs, laissons la Parole nous déconcerter. Laissons la Parole faire en nous son chemin en perçant tout ce qui peut en nous faire obstacle à sa richesse.