
Deux femmes. Deux veuves. Deux pauvres femmes. Elles ont vécu à deux époques différentes la même épreuve: celle du dénuement extrême. En un mot, la misère. Elles ne possèdent rien, ou presque rien, pour l’une une poignée de farine et un peu d’huile, pour l’autre deux misérables piécettes. Elles n’ont rien et pourtant elles sont riches. Elles n’ont rien, pourtant toutes deux ont trouvé la clef du trésor, ce trésor après lequel tous nous courrons en cette vie, plus ou moins consciemment. Ce trésor, il a pour nom la vie qui ne se perd pas, la vie éternelle. Ce trésor, certes on ne peut en jouir que dans l’autre patrie, au ciel, avec nos frères en sainteté, mais la clef du trésor, il nous revient de la trouver, ici et maintenant.
L’exemple de ces deux pauvres femmes nous fournit la carte pour trouver la clef du trésor. Une question angoissante peut nous venir spontanément à l’esprit? Ont-elles mérité la clef du royaume des cieux en raison de leur indigence, si bien qu’il nous faudrait tous aspirer à des conditions de vie misérable pour escompter un jour entrer en possession du bonheur éternel? S’il en va ainsi, avec cette pluie qui n’en finit pas de tomber, le froid humide qui s’installe et la chaudière du couvent qui fait des siennes alors nous risquons, d’être nombreux, moi le premier, à quitter cette église le moral dans les chaussettes, à la manière du jeune homme riche, désespérant de pouvoir hériter un jour du trésor des cieux.
Oui, l’Écriture insiste bien sur la grande pauvreté matérielle de ces deux femmes. Leur misère n’est pourtant pas la garantie automatique, le sésame de la vie éternelle. Certes «il est plus facile à un chameau de passer par le trou d’une aiguille qu’à un riche d’entrer dans le Royaume de Dieu», mais l’aisance matérielle ne condamne pas automatiquement à trouver porte-close au ciel. La pauvreté matérielle de ces deux veuves est un fait, elle n’a rien d’enviable, ni d’aimable. Ce n’est pas cette clef qu’il nous faut rechercher. Leur indigence a tout simplement, pour elle, le mérite de mettre d’avantage en valeur l’attitude spirituelle qui fait la richesse de ces deux femmes.
Regardons la veuve de l’Évangile et son obole. Matériellement, son offrande – deux misérables piécettes – ne fait pas le poids face aux grosses sommes déposées par les gens riches.
Quantitativement, elle ne signifie rien.
Qualitativement, eu égard à la pauvreté de la veuve, la misérable offrande prend une toute autre valeur. La veuve a peu donné. Les riches gens ont beaucoup donné. La veuve, cependant, «a tout donné». Elle a donc donné plus que les riches. Qu’a-t-elle donné? «Tout ce qu’elle avait pour vivre». Comme la veuve de Sarepta, à vue humaine, la veuve du temple a signé son arrêt de mort. Après cette offrande, que va-t-il lui rester pour vivre? Rien. Nada. Enfin, pas tout à fait, il lui reste l’essentiel, son tout, sa vraie richesse: sa confiance dans le Dieu de toute providence, le Dieu des vivants. Elle est là la clef du bonheur pour aujourd’hui et pour demain.
La clef, c’est d’accepter de tout donner dans la confiance. Et «tout donner dans la confiance», ce n’est ni plus ni moins que remettre son existence même entre les mains de Dieu. C’est renoncer à vivre par soi-même en puisant uniquement dans ses propres ressources. C’est renoncer à la folie de se prendre pour sa propre providence. C’est accepter de mourir à la prétention qu’il serait possible de vivre sans Dieu, en dehors de l’obéissance de la foi. Car vivre ainsi, ce n’est pas vivre, c’est survivre.
La clef de la vie est ainsi pour chacun d’entre nous l’acceptation dans la confiance d’une mort à soi-même. La clef de la vie, c’est le passage confiant par la croix, et la mort de la croix. «Si quelqu’un veut venir à ma suite, qu’il se renie lui-même, qu’il se charge de sa croix et me suive. Qui veut en effet sauver sa vie la perdra, mais qui perdra sa vie à cause de moi et de l’Évangile la sauvera. Que sert donc à l’homme de gagner le monde entier, s’il ruine sa propre vie?»
En contemplant la confiance de la veuve qui se remet totalement entre les mains de Dieu, demandons-nous en vérité: En qui ai-je mis ma confiance? En moi, en mes propres richesses, en mes talents ou en Dieu seul? L’évangile nous laisse sur cette interrogation. Question de vie et de mort. Question à laquelle il nous faudra tous répondre ultimement pour espérer un jour entrer dans le temple non-fait de main d’homme.
