Homélie du 28 novembre 2010 - 1er DA
fr. Renaud Silly

Selon les gens qui s’y connaissent, les poules d’élevage vivent dans des hangars ou rien ne distingue le jour de la nuit, sinon la lumière électrique. Afin de leur donner l’illusion du cycle du soleil, leurs élevages sont dotés d’un éclairage progressif, qui le fait passer de l’obscurité au jour. Sans cela, les oiseaux seraient perturbés. Peut-être se laisseraient-ils mourir. Quel contraste avec la manière de réveiller les élèves dans les pensionnats: la lumière vive des lampes, le bourdonnement caractéristique que produit l’électricité passant dans un tube de néon, le passage de la torpeur des draps à un univers où chacun de nos gestes est pesé.

A proprement parler, les poules ne se réveillent pas; leur vie est le passage d’un sommeil à un autre sommeil. Leur vie défile comme une ombre sur un mur. Si nous ne sommes pas des veilleurs, notre vie risque de ressembler à celle des poules; on croit se réveiller le matin, mais c’est pour s’engloutir dans un univers moins réel encore que nos songes, où règnent la fabrication publicitaire des désirs et le devoir de céder à la dictature des envies. En quoi consiste donc ce sommeil dans lequel nous croyant éveillés nous risquons de nous assoupir? Jésus nous détaille ainsi la mauvaise conduite des hommes qui leur a mérité le Déluge: ‘on mangeait, on buvait, on prenait femme ou mari‘; mais quel mal y a-t-il donc à cela? Jésus veut-il une fois de plus frapper de vanités nos maigres plaisirs?

Il est frappant en effet que Jésus ne dise pas «au temps de Noé, ils commettaient des adultères, ils tuaient» et le reste. Il parle des occupations les plus ordinaires et même les plus légitimes de la vie. Il y a pourtant une progression: «on mangeait»: le besoin de nourriture exprime la nécessité où nous sommes de sustenter notre corps qui nous soumet à ses impérieuses lois. «on buvait»: un proverbe nous le dit: ‘donne du vin à celui qui est dans l’amertume‘; «on prenait femme ou mari»: c’est là le degré le plus élevé et le plus noble du désir purement humain: ce désir qui nous pousse vers notre semblable et nous commande de l’aimer comme nous-mêmes. Certes, les hommes du temps de Noé ne cultivaient pas le désir naturel de connaître Dieu et de l’aimer, ce par quoi les aspirations de leur nature auraient été complètes. Pourtant, les plaisirs cultivés par les hommes du temps de Noé sont très louables en eux-mêmes.

L’éducation doit élever notre volonté de la satisfaction des besoins primaires jusqu’à la recherche des biens spirituels. Pourtant, et c’est là le drame, quand l’homme sera parvenu à ce degré supérieur d’humanisation de sa volonté, il n’aura encore rien trouvé. Jésus veut nous surprendre, et il n’est pas possible qu’il ne nous surprenne pas. Ce qu’il nous offre en effet, c’est ce que l’œil n’a pas vu, ce que l’oreille n’a pas entendu; comment y aurait-il une proportion entre les aspirations de notre cœur étroit et les biens dont le Seigneur veut nous combler? Il ne peut pas ne pas nous surprendre, sa visite n’est pas de celles que l’on rend par politesse à un ami cher, c’est un voleur qui vient quand on ne l’attend pas. Le cambrioleur veut pénétrer dans notre maison, mais nous, nous ne voulons pas de lui. Dans le Dialogue des Carmélites, on voit la prieure, une femme forte qui a tenu sa communauté dans l’observance depuis de nombreuses années «hélas, j’ai plus de 30 ans de profession, 12 ans de supériorat, j’ai médité sur la mort chaque heure de ma vie, et cela ne me sert maintenant de rien». Telle est la paradoxale leçon: Veillons, car être réveillé, c’est être vraiment vivant, et pourtant, Dieu nous surprendra. Ce qui distingue les vierges sages des folles n’est pas que les unes dorment et les autres non, mais que les unes se soient approvisionnées en huile et les autres non.

Nous serons toujours en deçà des ambitions que Dieu a pour nous, le mystère de sa grâce, c’est qu’il nous surprendra toujours au milieu de notre sommeil. Pourtant, c’est là que l’espérance en la venue prochaine du Sauveur opère une alchimie dont le monde n’a jamais pu briser le secret: nos aspirations confuses et changeantes par elles-mêmes ne sont pas frappées de nullité par l’espérance de biens dont nous n’avons même pas idée. L’espérance les arrache à la futilité et à l’anecdote. Chaque seconde de la vie, le moindre petit geste, demande à être vécu avec intensité. Les Carmélites du Dialogue ne veulent pas devancer le martyre ni s’y dérober. Vont-elles se jeter dans une morne attente soit par résignation, soit pour laisser l’orage passer? que nenni! C’est au contraire le moment de goûter chaque instant dont Dieu leur fait grâce; ainsi que le dit une des sœurs qui croque des pommes à pleines dents «jamais nous ne trouverons une meilleure occasion d’être un peu gourmandes! – voilà une étrange façon de vous préparer au martyre – oh pardon sœur Mathilde, à la chapelle, au travail, et dans le grand silence je peux bien m’y préparer d’une autre manière. Cette manière-ci est celle de la récréation; pourquoi ne seraient-elles pas bonnes toutes les deux?». Marana Tha; ta venue Ô Christ colore chaque instant de nos vies; comme ces vitraux qui ne livrent leur couleur que traversés par la lumière du soleil. Il est l’heure de vous réveiller de sommeil; il est temps d’accueillir le Seigneur, temps de vivre et d’aimer. Viens Seigneur Jésus.

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