Homélie du 10 avril 2011 - 5e DC
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Lazare a retrouvé la vie. Le tombeau est vide. Le temps du deuil est fini pour Marthe et Marie. Les larmes peuvent enfin cesser de couler à Béthanie. Pourtant, il se dégage de cet Évangile comme une gêne, un sentiment de malaise. On cherche en vain les manifestations de joie, les embrassades familiales. D’où vient cette impression de gravité qui flotte sur le récit? Le drame familial a pris fin et pourtant l’atmosphère reste lourde, les gorges comme nouées. C’est, qu’en effet, un autre drame se met en place en coulisse. Un homme a été arraché à la mort, mais la mort n’a pas dit son dernier mot. La mort n’a pas tiré sa révérence. Elle réclame la vie du juste. Elle n’a que trop attendue.

Les premiers à sentir le temps se gâter ou plutôt la mort rôder comme un lion autour de sa proie comme dit le psaume, ce sont les disciples. Il est frappant de constater qu’ils ont essayé d’empêcher Jésus d’aller secourir son ami malade: «Rabbi, tout récemment les juifs cherchait à te lapider, et tu retournes là-bas!» Ce miracle ne leur dit rien qui vaille. Il est le miracle de trop. Les disciples le savent, c’est le prétexte qu’attendent les adversaires du Christ pour déclencher leur haine meurtrière, la goutte d’eau qui va faire déborder le vase d’iniquité. La suite des évènements va malheureusement confirmer leur pressentiment. L’Évangéliste Jean dans les versets suivant le récit de la résurrection de Lazare rapporte en effet que c’est en raison de ce signe que les grands-Prêtres et les pharisiens «résolurent de le tuer».

Par sa décision d’aller sauver son ami Lazare, contre l’avis de ses disciples, Jésus s’expose à une mort certaine. L’apôtre Thomas l’annonce de manière prophétique. «Lazare est mort, [ dit Jésus ], et je me réjouis pour vous de n’avoir pas été là, afin que vous croyiez. Mais allons auprès de lui! Alors Thomas, appelé Didyme, dit aux condisciples: Allons, nous aussi, pour mourir avec lui!» Si l’atmosphère est lourde à Béthanie, c’est que l’ombre de la croix se fait déjà présente et oppressante. Saint Jean nous a d’ailleurs mis la puce à l’oreille dès le début de son récit en mentionnant que Marie, sœur de Lazare, est précisément celle qui oindra le Seigneur de parfum et lui essuiera les pieds avec ses cheveux: annonce à peine voilée de la mort prochaine du Christ.

En allant tirer Lazare du sommeil de la mort, Jésus signe de fait son propre arrêt de mort. Il met son existence en danger pour qu’un autre ait la vie. Pour Jésus, aller à Béthanie, c’est entrer concrètement dans le don de sa vie pour ceux qu’il aime. Mais, contre toute apparence, sa vie ne lui est pas ravie par surprise. Jésus sait à quoi s’attendre. Il a entendu les mises en garde de son entourage, les menaces de lapidation. Jésus est conscient qu’il ne pourra pas échapper indéfiniment à ceux qui veulent le saisir pour le juger. Il sait au fond de lui ce que va lui coûter la résurrection de Lazare. C’est librement qu’il prend la route de Béthanie. C’est librement qu’il accepte la perspective de la mort pour sauver non seulement Lazare, mais tout homme. C’est pour cela que le Fils est venu dans le monde. Ainsi, sa vie nul ne lui prend, c’est lui qui la donne.

En somme pour Jésus, ressusciter Lazare signifie entrer de plein pied dans le mystère de la passion. Jésus est désormais prêt pour la croix. L’amour sauveur de Dieu va pouvoir se manifester pleinement.

Frères et sœurs, peut-être pensions-nous goûter déjà quelque chose de la lumière du mystère de Pâque avec ce récit de la résurrection de Lazare, mais il nous faudra encore attendre un peu pour nous réjouir. Le mystère auquel il nous faut communier pour l’heure est celui de la ferme volonté de Dieu de donner sa vie pour ceux qu’il aime. Aujourd’hui, Jésus s’engage résolument, sans regarder en arrière, sur le chemin qui le conduit au Calvaire. Ce choix appelle notre adoration car il est l’expression de l’amour souverainement libre et immérité que Dieu nous porte: «C’est en effet, dit Paul aux Romains, alors que nous étions sans force, c’est alors, au temps fixé, que le Christ est mort pour les impies – à peine voudrait-on mourir pour un homme juste; pour un homme de bien, oui, peut-être oserait-on mourir – mais la preuve que Dieu nous aime, c’est que le Christ alors que nous étions encore pécheurs, est mort pour nous.» (Rm 5, 6-8)