Homélie du 2 décembre 2012 - 1er DA
fr. François Daguet

Quelle idée, pour ce premier dimanche d’une nouvelle année liturgique, alors que nous commençons à nous préparer à Noël, de nous donner ainsi un évangile qui traite de la venue du Christ à la fin des temps, dans un registre apocalyptique et dramatique! Nous aurions plutôt besoin d’un peu de paix, au cœur du tumulte du monde. Quel est donc le sens de cet Avent qui s’ouvre de si curieuse façon?

Ce terme d’Avent vient du latin adventus, que l’on traduit en français par avènement. Voilà qui nous met sur la piste. C’est l’avènement, l’advenue du Christ que nous commençons à célébrer. Ce n’est pas seulement l’anniversaire de sa naissance, il y a environ 2000 ans, c’est la venue de Dieu parmi les hommes, puisque tel est son nom: Emmanuel, Dieu avec nous. Le christianisme est la religion du Dieu qui vient, qui vient à la rencontre de l’homme. Et il ne cesse de venir. Bien sûr, nous faisons mémoire de sa venue à Bethléem, mais nous savons aussi qu’il viendra aussi à la fin des temps: Jésus vient de le dire dans l’Évangile. Ce sera la parousie, et la préface de liturgie eucharistique que nous allons lire le dit clairement: «Il est déjà venu, en prenant la condition des hommes, pour accomplir l’éternel dessein de ton amour et nous ouvrir le chemin du salut; il viendra de nouveau, revêtu de sa gloire, afin que nous possédions dans la pleine lumière les biens que tu nous a promis et que nous attendons en veillant dans la foi».

Mais entre les deux, pour nous, en 2012, qu’en est-il? Cette perspective du retour du Christ en gloire nous semble bien lointaine. Et pourtant, cette description que saint Luc vient de nous transmettre ne concerne-t-elle pas notre temps? Les cataclysmes de la nature, l’affolement des nations, les cœurs alourdis par les soucis de la vie et les comportements mauvais valent aussi bien pour aujourd’hui. C’est que la venue ultime du Christ est déjà commencée, parce que nous vivons, depuis l’incarnation du Verbe, de la plénitude des temps, comme le dit saint Paul. Depuis la venue du Christ, nous vivons déjà de la fin des temps, et Jésus, le Fils de l’homme, ne cesse de venir nous visiter.

Le temps du chrétien ne peut pas être le même que celui d’un homme ordinaire. Pour celui-ci le temps s’écoule de façon linéaire, même si c’est en s’inscrivant dans le rythme des saisons. Le renouveau de chaque année s’écrit pour chaque homme sur la ligne qui va implacablement de sa naissance à sa mort; il y a, sur un axe horizontal, le passé, le présent et l’avenir, comme dans le célèbre tableau de Gauguin, qui est une fresque de la vie: D’où venons-nous, que sommes-nous, où allons-nous? Tableau magnifique d’un peintre désespéré par la fatalité de la mort, et qui avait l’intention de se suicider après son achèvement.

Pour le chrétien, il n’en va ainsi qu’en apparence, même si les années liturgiques suivent elles aussi le rythme des saisons. Car la vie du chrétien est rythmée par les venues du Christ, qui nous renouvelle sans cesse et nous fait déjà entrer dans la plénitude de la vie, celle qui n’a pas de fin. Notre temps est une élévation vers cette plénitude de vie. Nous ne commençons pas un nouvel Avent, un Avent de plus, semblable à celui de l’an dernier, nous commençons un Avent nouveau. A la fin de l’Apocalypse de saint Jean, celui qui siège sur le trône proclame: «voici que je fais toutes choses nouvelles» (Ap 21, 5). Ne vivons pas comme si le temps n’avait d’autre sens que de s’écouler, vivons en lui donnant son poids d’éternité. Nous le disons avec le psalmiste: «fais-nous savoir comment compter nos jours, que nous venions de cœur à la sagesse. Reviens, Seigneur!» (Ps 90, 12-13). Le temps du chrétien est changé, parce qu’avec le Christ l’éternité est entrée dans le temps.

Entrer dans l’Avent, se préparer à Noël, c’est donc se préparer à une nouvelle venue de Jésus, à l’accueillir, et d’abord en soi-même. «Restez éveillés et priez en tout temps», nous dit Jésus rapporté par saint Luc, dans votre conduite pour plaire à Dieu, «faîtes de nouveaux progrès» nous dit saint Paul en s’adressant aux Thessaloniciens. Il faut préparer Noël sans savoir ce qu’il sera, comme on attend un enfant: il n’est jamais ce que l’on attendait, il surprend toujours, il est toujours nouveau. Le Messie n’a pas été ce que les Juifs attendaient. Si nous croyons savoir ce que nous célébrerons dans trois semaines, notre Avent a déjà mal commencé. La Vierge Marie ne savait pas ce que serait son enfant, et ce qu’il réaliserait dans sa vie. Qu’il en aille de même pour nous: nous ignorons le don que Dieu veut nous faire, mais il nous invite à purifier tout ce qui doit l’être pour accueillir dignement l’enfant Dieu qui vient pour nous. Nous bénéficierons du don de Dieu à la mesure de notre désir de le recevoir, de notre préparation. Nous recevrons à la mesure de notre attente. Aujourd’hui, qu’attendons-nous, qui attendons-nous?