Frères et sœurs, ne nous trompons pas de prophétie ni d’histoire! Toutes les prophéties en effet ne se ressemblent pas. «Toi, Bethléem, Ephrata, le plus petit des clans de Juda» n’a rien d’un «Toi, Buggarach, la plus insignifiante des communes de l’Aude». L’une est parole et promesse de Dieu, l’autre est parole de farfelu digne de la «soupe au choux». Tous les récits de voyage et de rencontre où le surnaturel affleure ne sont pas tous fait du même bois. St Luc n’est pas Tolkien. L’Évangéliste ne dit rien sur les conditions du voyage de Marie à travers le pays montagneux: il n’y est question ni de ravins escarpés ou de torrents bouillonnant et encore moins de nains, de dragons ou de hobbits. St Luc ne compose pas un conte à écouter au coin du feu en faisant griller des marrons. L’histoire de la Visitation est d’un tout autre ordre.
La prophétie de Michée n’est pas de ces prophéties qui n’engagent que ceux qui veulent bien y croire. Le récit de la Visitation n’est pas un fait divers anecdotique ou un conte pour enfants. Et pourtant combien d’hommes n’accordent pas plus de crédit à la Parole de Dieu qu’à une prophétie d’illuminé ou qu’à une fable de conteur. Frères et sœurs, si le scepticisme nous guette nous aussi à l’écoute de la Parole de Vie, il est temps de retrouver l’esprit de Noël.
Entendons-nous bien. Il n’est nullement question d’un quelconque retour à un esprit d’enfance ou à un âge précritique de l’humanité, mais d’une conversion radicale de nos cœurs et nos intelligences. Accueillir l’esprit de Noël, c’est toucher à la substance même des choses, au sens même de l’histoire. Car à Noël, dans l’enfant né de la Vierge, c’est la vérité du monde, c’est la vérité de chacune de nos existences qui éclatent. A Noël, les prophéties se réalisent. Les temps arrivent à leur plénitude. Dieu fait irruption dans l’histoire d’une manière inouïe. Dieu en prenant chair dans le sein de la Vierge épouse la trame de l’histoire et de chacune de nos vies. A Noël, c’est l’éternité même de Dieu qui transfigure à jamais notre histoire.
Qu’on se le redise avec force: l’Annonciation, la Visitation ou encore la Nativité ne sont pas des petites histoires que nos grands-mères aimaient se raconter en disant leur Rosaire. A chaque fois que nous ouvrons la Parole de Dieu, nous touchons à la grande histoire. L’esprit de Noël doit nous aider à faire le tris entre ce qui relève de la petite et de la grande histoire La rencontre entre Marie et Élisabeth a une valeur infinie plus grande que la mort d’un Oussama Ben Laden ou la poignée de main historique entre un Itzhak Rabbin et un Yasser Arafat. Aujourd’hui, par la proclamation de l’Évangile de la Visitation, c’est une page de la grande l’histoire que nous ouvrons, celle que nous nommons l’histoire du Salut.
L’histoire du monde et nos histoires personnelles ne sont déchiffrables que saisies dans le grand mouvement de l’histoire sainte. Évacuer Dieu de l’histoire des hommes, c’est se condamner au désespoir. L’histoire sans Dieu n’a lors plus de signification. Seul apparaît le règne de l’injustice et l’éternel retour du mal. Or Dieu est la trame même de l’histoire du monde. Son dessein d’amour et de salut est le fil qui relie chacune de nos vies, qui donne son poids à la moindre des existences humaines.
Frères et sœurs, s’il y a bien un esprit de Noël à retrouver et à cultiver, il n’est pas d’abord à chercher du côté d’une fraternité universelle, mais dans une attention toujours plus vive de la présence de Dieu dans nos vies. Ce Dieu qui a fait sa demeure en Marie habite notre histoire. Il fait corps avec elle. Il en est son fondement le plus réel. Avec Marie, Élisabeth et Jean-le-Baptiste réalisons que Dieu n’est pas une idée lointaine. Éprouvons dans l’épaisseur de nos vies la réalité de l’Incarnation. Si Jésus est vraiment l’Emmanuel, «Dieu avec nous», le Dieu-tout-proche, il faudrait que la proclamation de la Parole de Dieu et chaque messe nous fassent tressaillir de joie au-dedans de nous. La joie est le signe de la présence de l’aimer.