Homélie du 12 janvier 2014 - Baptême du Christ
fr. François Daguet

La tradition latine la plus vénérable a toujours associé trois épiphanies du Christ: celle de la venue des mages, fêtée il y a une semaine, celle du baptême du Christ, fêtée aujourd’hui, et celle des noces de Cana, que l’on retrouvera plus tard. L’antienne du Magnificat pour l’Epiphanie proclame ainsi: «Nous célébrons trois mystères en ce jour: aujourd’hui, l’étoile a conduit les mages vers la crèche; aujourd’hui l’eau fut changée en vin aux noces de Cana; aujourd’hui, le Christ a été baptisé par Jean dans le Jourdain pour nous sauver, alleluia». Trois épisodes de la vie de Jésus, mais un seul jour, une seule manifestation, pour une seule bonne nouvelle, celle du salut qu’il nous apporte. Nous savons qu’avec le Christ, le temps des hommes est transformé par l’irruption en son sein de l’éternité de Dieu.

Évidemment, chacune de ces épiphanies a sa note propre. Chacune nous révèle quelque chose du Christ, mais aussi chacune nous révèle quelque chose du mystère de l’Église. Car le Christ n’est pas venu pour lui-même, mais pour nous, pour accomplir à notre profit l’œuvre de notre salut. Nous, c’est-à-dire chacun et nous tous ensemble, autrement dit l’Église, en tant qu’elle est unie au Christ. La venue des mages à Bethléem manifeste la réalisation du projet divin de faire de tous les hommes un seul peuple. Ils sont la figure des nations, des païens, qui entrent dans l’héritage de la promesse faite à Israël. C’est la réalisation de ce qui était annoncé dès l’origine à Abraham, et que saint Paul révèle comme étant le mystère, indissociablement celui du Christ et du Christ uni aux hommes. A Cana, Jésus dévoile les noces nouvelles que Dieu vient contracter avec l’humanité. L’union des hommes à Dieu est un mystère sponsal, d’épousailles. Ici encore, se réalise dans le Christ ce que le prophète Osée avait dévoilé, et que l’Épître aux Éphésiens révèle explicitement (5, 25-27): «Le Christ a aimé l’Église, il s’est livré pour elle, ? car il voulait se la présenter à lui-même toute resplendissante, sans tache, ni ride, ni rien de tel, mais sainte et immaculée». Et comment la sanctifie-t-il? «en la purifiant par le bain d’eau qu’une parole accompagne». Et voilà le baptême auquel le Christ invite son épouse.

Avec le baptême du Christ, nous découvrons la façon si étonnante choisie par le Père pour réaliser son dessein. Quel peut être le sens de ce baptême que Jésus exige de Jean? Il n’avait pas besoin d’être purifié de quoi que ce soit, il n’avait pas besoin d’entendre la voix du Père retentir pour lui révéler son identité et sa mission. Non, si Jésus est veut être baptisé publiquement, ce n’est pas pour lui, qui est la tête, mais pour son corps, qui est l’Église. Jésus entraîne l’Église, ses membres, nous-mêmes, à sa suite pour recevoir le baptême. Bien sûr, ce n’est que le début de ce parcours baptismal. Car le baptême de Jésus, celui qu’il a hâte de recevoir, c’est celui du sang, à la Croix, que le baptême de l’eau, dans le Jourdain, annonce et appelle tout à la fois. Voilà pourquoi le baptême de Jésus est le geste inaugural de toute son œuvre de salut, qui culmine au matin de Pâques, après le Golgotha. Ce geste nous montre ce qu’il veut faire de nous par le baptême que nous avons reçu : des enfants du Père, des membres de son corps, qui vivent de l’Esprit qui leur est communiqué, celui qui apparaît comme une colombe.

Un baptême se réalise simplement, par un geste qu’une parole accompagne. Pour Jésus, le geste est sa plongée dans le Jourdain. Et la parole est celle du Père: «Celui-ci est mon Fils bien-aimé; en lui j’ai en qui j’ai mis tout mon amour», en quelque sorte, en qui j’ai déposé mon dessein bienveillant. C’est une déclaration d’amour de la part du Père, qui s’adresse à nous. Le baptême de Jésus est une épiphanie trinitaire, c’est l’un des trois moments ou les trois personnes divines se manifestent ensemble. Il nous fait comprendre que la vie qu’il nous offre est celle-là même de la Trinité. Notre baptême à nous aussi est trinitaire. Le don de l’Esprit fait de nous des fils dans le Fils, des enfants du Père qui retournent vers lui. En nous entraînant avec lui dans le Jourdain, le Christ nous fait entrer dans sa filiation, par le don de l’Esprit, et des membres de son corps. Voilà le dessein bienveillant du Père, qui se réalise dans le Christ et par le don de l’Esprit, qui est l’amour du Père et du Fils.

Alors, nous comprenons que cette fête nous invite à faire mémoire de notre baptême qui, au-delà de l’eau du Jourdain, nous renvoie au Sang versé par le Christ pour nous. Sainte Catherine de Sienne, la grande mystique dominicaine, ne cesse d’inviter ses disciples à se plonger dans le Sang du Christ, formule qui effraie souvent ses lecteurs. Mais cela signifie simplement se plonger dans l’amour du Christ qui nous sauve, et qui nous sauve par son Sang. Se plonger dans le Sang du Christ, c’est être sans cesse renouvelé par son amour sauveur, et c’est cela qui change notre vie en la divinisant, qui change l’eau en vin, qui nous fait repartir par un autre chemin, comme les mages de Bethléem.