
Ça fait plaisir de s’entendre dire qu’on est le sel de la terre! On sent tout de suite que c’est positif et que c’est même un peu flatteur. «Vous êtes le sel de la terre», ce fut le thème des JMJ de Toronto en 2002 choisi à l’époque par le grand pape Jean-Paul II. Rien de tel que ce slogan accrocheur pour attirer des millions de jeunes. «Vous êtes le sel de la terre», c’est aussi une phrase fréquemment placardée sur les flyers ou les dépliants publicitaires de soirées cathos jeunes, style feuilles A4 coupées en deux et mal photocopiées – éventuellement sur du papier jaune, pour changer du blanc. Oui, la jeunesse catholique est bien le sel de la terre car elle est l’espérance de l’Église. Les jeunes sont prêts à défendre leur foi et à l’annoncer à la sueur – salée – de leur front, pour donner une saveur nouvelle au monde. Mais il est facile d’être le sel de la terre quand on est jeune et beau. Comment l’être quand on n’est pas jeune, quand on est malade et fragile? La proximité avec la journée mondiale des malades – qui fut initiée par le pape Jean-Paul II et que nous célébrerons mardi (11 février) – me pousse à essayer de comprendre comment des malades peuvent être le sel de la terre.
C’est le recevoir par grâce
L’évangile de ce jour suit immédiatement le texte des Béatitudes, et les deux textes unis l’un à l’autre forment le début du sermon de Jésus sur la montagne. Si bien qu’il faut lire les deux textes en relation l’un avec l’autre: «Heureux les pauvres, vous êtes le sel de la terre; heureux les affligés, vous êtes le sel de la terre». En réalité, ce sont ceux qui vivent les béatitudes qui sont le sel de la terre. Et les malades ne sont-ils pas les pauvres et les affligés des Béatitudes? Le Christ ne dit pas: «Devenez le sel de la terre», ni même: «Soyez le sel de la terre», et encore moins: «Si vous faites cela, alors vous serez le sel de la terre». Non, il dit d’emblée: «Vous êtes le sel de la terre». Du côté de l’homme, il n’y a donc rien à faire, il n’y a pas d’acte à poser. Ce ne sont pas les disciples qui se donnent le titre, car c’est Dieu lui-même qui leur donne la grâce d’être le sel de la terre. Ce n’est donc pas la peine d’être jeune et de s’agiter, un malade cloué dans son lit peut lui aussi être sel de la terre. C’est une grâce qu’il n’est pas nécessaire de mériter, mais Dieu la donne gratuitement. Avec le Christ, l’addition n’est jamais salée, tout est gratuit. Croire que l’homme, même malade, y est pour quelque chose serait bien prétentieux. Dieu a toujours l’initiative, même si l’homme, de son côté, doit agir sous la motion divine, cette action pouvant être le simple «oui» à sa volonté.
C’est l’être en Église et pour l’Église
Le Christ ne dit pas: «Tu es le sel de la terre». Jésus ne parle pas à chacun de ses disciples séparément. Ce n’est pas personnellement qu’on est sel de la terre. Non, il s’adresse à tous ses disciples, à tous, en un mot à l’Église. L’Église n’est pas l’association ou le club de ceux qui viendraient, chacun séparément, apporter leur pincée de sel pour qu’en définitive, elle rassemble beaucoup de sel. C’est l’Église entière qui est sel de la terre, et qui donne à ses fidèles, ensemble, en communion les uns aux autres, d’être aussi sel de la terre. Sans le Christ et sans l’Église, il serait impossible d’être sel de la terre; ce ne serait que prétention et illusion. Cette grâce d’être sel de la terre, nous la recevons d’une façon éminente dans les sacrements. Bien sûr, en premier, le baptême, et c’était un beau geste de l’ancien rite que de déposer sur les lèvres du nouveau-né une pincée de sel, en signe du salut pour mettre en fuite l’ennemi (le sel, c’est ce qu’on met sur les routes enneigées pour ne pas glisser): être sel de la terre, c’est un don de Dieu qui nous vient de notre relation personnelle avec lui depuis le jour de notre baptême. Dans l’eucharistie, nous recevons l’hostie consacrée, sans sel, car nous sommes déjà le sel de la terre, et nous n’avons pas besoin de le devenir. Mais il existe un sacrement spécial pour les malades, et si le baptême est le premier des sacrements, si l’eucharistie est le sommet, l’onction des malades est probablement le plus beau de tous les sacrements.
C’est être configuré au Christ sauveur
Le sacrement des malades, qui n’est pas réservé aux seuls mourants, donne deux grâces: Une grâce de réconfort car le Christ vient porter un bout de notre croix pour la rendre plus légère, et pour que le chemin de la maladie soit moins pénible. Cette grâce est une force, symbolisée par l’huile d’olive dont on oint le front et les mains, une force qui permet de garder le cap malgré la souffrance et la mort qui se profile au bout du chemin.
Mais il y a une autre grâce, plus difficile à comprendre, mystérieuse, c’est celle où le Christ charge sur les épaules du malade sa propre Croix. Le Christ fait porter sa Croix, comme il l’a fait avec Simon de Cyrène, et le malade met ses pas dans ceux du Christ. Le malade devient un autre Christ, il est configuré au Christ en sa Passion qui le fait participer à ses propres souffrances. Le malade unit ses propres souffrances à celles du Christ. Il devient un autre Christ, un autre sauveur. Frères et sœurs qui êtes malades, priez pour nous, intercédez pour nous. Vous êtes pour nous un reflet du Père des Lumières, vous êtes un autre Christ, Lumière du monde. Par votre vie unie à celle du Christ, vous êtes des coopérateurs de sa grâce qui sauve.
Frères et sœurs, il n’y a réellement que le Christ qui est le sel de la terre. Et il nous donne cette grâce inouïe d’être avec lui, en Église et pour l’Église, sel de la terre. Et toi, frère malade, crucifié sur ton lit de douleurs, tu peux dire à l’Église et au monde: «Par lui, avec lui et en lui, je suis le sel de la terre; par lui, avec lui et en lui, je suis sauveur du monde».
