Homélie du 24 décembre 2014 - Nuit de Noël
fr. Arnaud Blunat

Il y a des passages d’évangile qu’on ne se lasse pas d’entendre, de lire et de relire. Des passages si riches qu’on n’a jamais fini d’en scruter les multiples détails. Ainsi en est-il du récit de la Nativité dans l’évangile de Saint Luc. La naissance de Jésus en cette nuit de Bethléem est un témoignage parmi les plus anciens. Saint Luc précise au commencement de son évangile qu’il a soigneusement recueilli des informations auprès de témoins reconnus. Ne doutons pas que la Vierge Marie ait pu être un témoin privilégié de la venue au monde de Jésus. Or le récit que nous avons entendu est d’abord rempli de contrastes : citons-en trois :

– L’annonce solennelle du recensement en pleine période d’occupation romaine contraste avec l’arrivée humble et discrète de Joseph et Marie à Bethléem.

– La joyeuse manifestation des anges dans le ciel contraste avec la naissance de Jésus seul au milieu de la nuit.

– Enfin l’annonce de l’ange aux bergers offre un contraste avec le signe qui leur est donné.

Arrêtons-nous justement sur ce passage : « Aujourd’hui, dans la ville de David, vous est né un Sauveur qui est le Christ, le Seigneur. Et voici le signe qui vous est donné : vous trouverez un nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire » .

La ville de David, ce pourrait être Jérusalem, puisque David l’avait conquise et en avait fait sa capitale. Il s’y était construit un palais et avait projeté d’y bâtir un Temple pour le Seigneur. Mais Bethléem sa voisine était sa ville d’origine. Le lieu de la naissance du Sauveur n’est pas précisé. S’agissait-il d’une grotte ou d’une maison de la ville ? En cette période de recensement où la petite cité était remplie de familles de passage, la salle commune était déjà pleine de monde quand Marie et Joseph se sont présentés. Peut-être ont-ils trouvé refuge dans l’étable au rez-de-chaussée ? Cependant la tradition la plus ancienne situe la naissance de Jésus dans une grotte en dehors de la ville.

Le texte est si concis que Luc ne dit rien d’une éventuelle recherche de logement ou des refus d’hospitalité que Joseph et Marie auraient pu essuyer, et sur lesquels insistent tous nos contes de Noël. Quoi qu’il en soit, comme nous l’entendrons demain dans le Prologue de saint Jean, Jésus est « venu chez les siens mais les siens ne l’ont pas accueilli » , ce qui fait écho à la prophétie d’Isaïe :

« J’ai élevé des enfants, je les ai fait grandir, mais ils se sont révoltés contre moi. Le bœuf connaît son maître, et l’âne la crèche de son maître, mon peuple ne comprend pas… Ils ont abandonné le Seigneur, ils ont méprisé le saint d’Israël ». Au passage, le bœuf et l’âne dans la crèche, c’est chez Isaïe qu’on en trouve l’origine !

Ce que Marie et Joseph ont pu vivre nous renvoie aux difficultés auxquelles sont confrontées tant de gens ordinaires, hier comme aujourd’hui, et en particulier tant de familles déplacées, chassées, persécutées, immigrées en terre étrangère, confrontées à la pauvreté, au mépris, à l’indifférence.

Mais revenons à notre passage de l’évangile : L’ange annonce aux bergers la naissance d’un Sauveur qui est le Christ Seigneur. Trois titres particulièrement importants et qui renvoient à bien des prophéties.

– Un Sauveur : Le peuple d’Israël attendait un Sauveur, un libérateur, qui le délivre du joug romain, mais il aspirait aussi à une libération spirituelle, à être sauvé de la mort dont il avait fait tant de fois l’expérience durant son histoire. Le monde d’aujourd’hui n’aspire t-il pas lui aussi à cette libération ? Saint Paul le dit dans la lettre aux Romains : la création aspire à être libérée de l’esclavage, elle crie sa souffrance, elle passe comme par les douleurs d’un enfantement.

– Le Christ : il est celui qui a reçu l’onction, comme certains rois et prophètes de l’Ancienne Alliance, celui qui a été choisi de toute éternité, comme le dit le psaume 2 : « Tu es mon fils bien aimé, moi aujourd’hui je t’ai engendré ».

– Le « Seigneur » enfin, titre qui désigne Dieu lui-même. Jésus est souvent appelé Seigneur : « vous m’appelez Seigneur et vous faites bien », dira t-il à ses disciples. Car il vient de Dieu, il est Dieu, né de Dieu, comme nous le proclamons dans le Credo. Ce que l’ange annonce aux bergers, ce n’est rien moins que la venue de Dieu dans l’humanité, c’est le mystère de son incarnation qui s’accomplit.

Mais comment les bergers auraient-ils pu le comprendre et trouver le Messie annoncé si un signe ne leur avait été donné ? Or celui-ci devait pouvoir les rejoindre dans la réalité qu’ils connaissaient et qu’ils vivaient. Voilà pourquoi ce signe est celui d’un enfant couché dans une crèche, dans une mangeoire d’animaux. Le nouveau-né emmailloté et couché dans une mangeoire qu’ont vu les bergers est ainsi livré aux hommes. Il est exposé pour être un jour donné en nourriture dans l’eucharistie avant d’être livré à la vindicte populaire et cloué au sommet de la croix. Couché pour être enseveli au soir du Vendredi Saint. Dans la nuit du tombeau, il partira nous délivrer de la mort.

De la crèche au crucifiement, Dieu nous livre un profond mystère ! La fête de la Nativité est en lien étroit avec l’évènement pascal, la mort résurrection de Jésus. Vie et mort se conjuguent en la personne de Jésus pour constituer un unique mystère de Salut. C’est en effet là que nous trouvons la clef de notre existence humaine.

Frères et sœurs, quand vous viendrez vous pencher sur la crèche, n’oubliez pas qu’il a pris toute votre vie sur lui, vos inquiétudes, vos souffrances, vos péchés, pour qu’un jour vous puissiez passer de la mort à la vie et ne faire qu’un avec lui dans son Amour. Alors n’ayez plus peur, soyez sans crainte ! « Aujourd’hui, un Sauveur nous est né, un Fils nous a été donné ». Que notre vie trouve là une raison d’espérer !

Joyeuse fête de la Nativité ! Joyeux Noël à tous !