Epiphanie, manifestation du Christ et quelle manifestation ! C’est le cœur du mystère chrétien qui se révèle au baptême du Christ : le Père, le Fils et le Saint Esprit, la Trinité. Le Dieu Vivant nous apparaît en dialogue. Le Père dit : « Tu es mon Fils bien aimé » et la colombe de l’Esprit repose sur Jésus. C’est comme la reprise du dialogue des origines lors de la création de l’homme. Pour les créatures matérielles Dieu avait donné des ordres : « Que la lumière soit… que la terre soit séparée des eaux… » (Gn 1, 3-25), mais pour l’homme, il se donne à lui-même un conseil en un mystérieux pluriel : « Faisons l’homme à notre image… » (Gn 1, 26). Les Pères de l’Église y ont vu la première manifestation de ce qu’ils appellent le conseil trinitaire, comme une expression de la vie intime de Dieu. C’est le dessein bienveillant du Père qui apparaît en Jésus. « Tu es mon Fils bien aimé, en qui j’ai mis toute ma complaisance », il faudrait dire plus précisément : « en qui j’ai fait acte de dessein bienveillant ». Le Fils vient pour accomplir le dessein bienveillant de la Trinité. Il se fait Jésus, le Sauveur des hommes, le nouvel Adam.
Mais où s’accomplit cette manifestation ? Sur le Jourdain. La Trinité se révèle sur les eaux du Jourdain. Jésus a voulu être baptisé « une fois que tout le peuple eut été baptisé » (Lc 3, 21). Ceux qui étaient venus au Jourdain ont été plongés par Jean dans ses eaux en confessant leurs péchés. L’eau du Jourdain s’est comme chargée des péchés du monde. Or c’est dans cette eau de mal et de mort que Jésus va être plongé. Le baptême au Jourdain préfigure son baptême définitif dans la mort et la résurrection où se révèlera ultimement la Trinité : « Père, entre tes mains je remets mon Esprit » (Lc 23, 46). A l’endroit supposé du baptême, l’eau du Jourdain n’est pas propre, mais boueuse. C’est symbolique. Comme à Lourdes, quand l’eau des piscines devient trouble en fin de journée après le passage de tous ceux qui s’y sont plongés. Jésus a plongé dans cette eau de nos péchés. Il a ainsi pris notre humanité à bras le corps. Jean Baptiste dira ensuite de Jésus qu’il ne le connaissait pas (Jn, 1, 31), alors qu’il était son cousin. Il voulait dire qu’il ne le connaissait pas comme serviteur souffrant venu « s’accabler lui-même de nos fautes » (Is 53, 11).
Il y a des moments, comme en ces derniers jours, où le mal nous explose au visage. Il y a quelque chose d’incompréhensible dans le mal, comme la manifestation d’un mystère d’iniquité. On peut, certes, se renvoyer la faute les uns aux autres, comme Adam et Ève après le premier péché. On peut se dire : ce n’est pas moi, c’est lui, ce sont eux. On peut le faire avec des arguments de poids, mais aucun ne peut justifier le mal. On peut invoquer la liberté d’expression, mais la dérision qui dénigre n’est qu’une expression adolescente de celle-ci. On peut à l’inverse invoquer le droit de réagir contre l’offense. Mais l’incapacité à supporter un affront adolescent est elle-même un manque de maturité. Dieu ne supporte t-il pas nos péchés ? Bien sûr, il nous faut lutter pour que notre société puisse connaître le vrai débat sans recourir à la dérision. Sinon on bascule dans l’ordre du mal : le mépris et la vengeance. Notre complicité avec le mal sous toutes ses formes constitue un bouillon de culture, une mystérieuse fécondité du mal. C’est en elle, dans ce « grenouillage » de nos ténèbres, que Jésus est venu plonger avec sa vie.
Alors, avec tous les hommes souffrant aujourd’hui l’injustice, tournons-nous vers le Christ Sauveur, lui qui est mort en pardonnant. Pensons à ces 4300 martyrs chrétiens de l’année dernière, partout dans le monde. Ne sont-ils pas la vraie victoire sur le mal, la victoire du Christ dans sa Pâque ? Soyons des hommes de pardon, à l’image de notre Père des cieux, plus forts dans le Christ que nos instincts de vengeance, pour triompher du mal.