

Dans la vie, il y a des hauts et des bas. Dans la vie spirituelle, aussi. Et il n’est pas impossible qu’au cours du Carême, cette alternance se fasse plus sensible. Prier, jeûner, faire l’aumône : ces moyens que le Seigneur nous a rappelés le mercredi des Cendres peuvent être accompagnés de grandes joies intérieures ; mais ils nous entament, aussi, et mettent à jour nos résistances. Mesurer combien nos cœurs peinent à se convertir et à demeurer dans l’amitié de Dieu, c’est parfois accablant.
Cette alternance des hauts et des bas, la liturgie des deux premiers dimanches de Carême nous la fait entrevoir d’une manière symbolique, mais très instructive. Dimanche dernier, le bas. Aujourd’hui, le haut.
Ce dimanche, en effet, les lectures nous invitent à « leve[r] les yeux vers les monts » (Ps 120 [121], 1), au nord de la Terre sainte, tout près du Liban. C’est là, dans cette région montagneuse, qu’on situe l’épisode bien connu de la Transfiguration, sur le mont Thabor.
Marc ne précise pas le lieu ; il indique seulement « une haute montagne ». L’expression fait penser à « la montagne de Dieu » (Ex 3, 1), le mont Sinaï, où Moïse a entendu Dieu dans la flamme du buisson, puis reçu la Loi. Cette montagne, on l’appelle aussi l’Horeb, et c’est là que le prophète Elie, également, a rencontré Dieu, dans « le murmure d’une brise légère » (1R 19, 12). Moïse et Elie, donc, sont des familiers de ces rencontres avec Dieu sur la montagne, et on les retrouve ici en compagnie de Jésus, qui, lui aussi, aime se retirer dans la montagne pour rencontrer son Père.
Achevons ce petit tour du relief de la Terre sainte par la montagne signalée dans la première lecture, le mont Moriah. Abraham vient y offrir son fils « unique » et « bien-aimé ». La tradition des rabbins l’assimile à la colline de Jérusalem (cf. 2Ch 3, 1). Selon cette tradition, c’est donc au même endroit que Dieu offre sur la croix son « Fils unique » et « bien-aimé » : Jésus prend ainsi la place d’Isaac.
Si l’Ecriture insiste tant sur ces hauteurs, c’est parce qu’elles symbolisent bien la rencontre avec Dieu. « Dieu est un Dieu des montagnes » (1R 20, 23), un Dieu qui « élève les humbles » (Luc 1, 52), qui invite les hommes, comme Abraham, Moïse, Elie, Pierre, Jacques et Jean, à s’approcher du Ciel et à entrer dans son intimité.
Dimanche dernier, au contraire, nous étions tout à fait en bas. D’abord, parce que nous avions affaire au « voisin du dessous », Satan. Mais surtout parce que le lieu où ce combat contre le Mal est situé traditionnellement, près de Jéricho et de la mer Morte, est le lieu le plus bas… du monde (400 m sous le niveau de la mer) !
Dieu n’a rien laissé au hasard. C’est à croire que s’il avait trouvé un lieu plus bas sur la terre, c’est là qu’il se serait incarné ! Comment ne pas voir dans cette « coïncidence » un magnifique symbole de la descente vertigineuse du Très-Haut au fond la misère humaine ? Le Christ commence son ministère de libération, de guérison, de réconciliation, à partir du point le plus bas de la planète comme pour nous dire qu’il est venu rejoindre l’homme à partir de ce qu’il y a en lui de plus abîmé, de plus blessé : sa chute, son effondrement sous la pression du Mal, autrement dit son péché. Et c’est à partir de cette situation-là qu’il le prend par la main pour transfigurer ce qu’il y a en lui de défiguré ; pour le relever, le ressusciter, et l’entraîner avec lui dans son ascension vers le « Père des lumières » (Jc 1, 17).
De cette petite géographie symbolique, nous pouvons tirer un enseignement pour notre montée vers Pâques.
On pense parfois qu’on est parvenu à un sommet de la vie spirituelle, ou au moins sur un plateau ! Mais c’est tomber bien bas si la prière, le jeûne et l’aumône nous amènent à croire que nous sommes arrivés au terme de notre ascension et que nous pouvons nous maintenir indéfiniment sur la montagne avec Jésus. « Faisons donc trois tentes ! » Non, ce n’est pas le régime ordinaire de la vie chrétienne que de baigner dans la lumière du Ciel. Les grâces mystiques existent, mais elles sont ponctuelles et elles ont pour corollaire de rudes combats spirituels.
Inversement, on peut avoir l’impression qu’on est tombé très bas. Mais c’est déjà être élevé bien haut si, en traversant la bassesse de son péché, on confesse sa misère, son incapacité à changer de vie, son besoin d’être sauvé. Quand tout semble perdu à vue humaine, combien il est difficile de croire que Dieu nous aime au point de se livrer pour nous en la personne de son Fils bien-aimé ! C’est là un acte de foi méritoire, qui traverse les nuées !
Cet acte de foi, faisons-le ensemble. Au regard de la miséricorde de Dieu, il n’y a rien de trop bas.

