Mais qui est-elle donc, cette femme adultère ? D’elle, on ne sait à peu près rien. Eh bien, heureusement, nous l’avons retrouvée ! Elle est là, aujourd’hui. Elle est parmi nous… Les personnes qui sont au premier rang se disent : « Mais il va finir par nous montrer du doigt ! » Non, rassurez-vous. Ou plutôt, si, je vais nous désigner — nous tous, en fait, parce que cette femme adultère, elle est au milieu de nous ; elle est en nous ; elle est nous.
Comment ça ? Rappelons-nous que l’adultère, c’est l’image que la Bible utilise très souvent pour parler des infidélités du peuple de Dieu. La relation intime que Dieu veut nouer avec nous, l’Ancien Testament la présente comme une « alliance ». Autrement dit, c’est aussi d’une histoire d’amour qu’il s’agit. Un mariage entre Dieu et sa bien-aimée, sa fiancée, son épouse : nous, notre humanité. Or, comme le disent les prophètes — Osée, Isaïe, Jérémie, Ézéchiel —, cette alliance a été trahie à maintes reprises par les infidélités du peuple de Dieu. Jésus lui-même, quand il parle de certains de ses contemporains qui manquent de foi, les traite de « génération adultère ». Et n’allons pas croire que ce reproche ne concerne que les concitoyens du Christ. En remontant à l’infidélité première, celle d’Adam et Ève dans le jardin du Paradis, la Bible nous apprend que c’est l’humanité tout entière qui trahit, depuis le commencement, l’amour dont Dieu l’a enveloppée dès sa venue à l’existence.
Cette femme anonyme est donc la figure de notre condition pécheresse. Voilà déjà un élément de réponse qui devrait nourrir notre méditation en ces derniers jours du Carême. Si nous devions paraître là, tout à coup, devant Dieu, nous ne serions sans doute pas fiers. Et le Démon, l’« Accusateur de nos frères », ne manquerait pas de prises pour nous traîner devant celui qui jugera les vivants et les morts. Oui, mais voilà : le Juge ne condamne pas. Et l’accusateur se retire, renvoyé à son propre péché, et dépassé par une alternative qu’il n’avait pas prévue : entre le rigorisme qui désavoue la bonté et le laxisme qui nie la justice, il y a la réponse de Dieu ; il y a la miséricorde.
C’est ici qu’il nous faut répondre à une seconde question, maintenant que nous entrevoyons qui est cette femme pardonnée : qu’est-ce que Jésus pouvait bien écrire sur le sol ? Là encore, l’évangéliste est resté muet. Mais le langage de la Bible, une fois de plus, pourrait nous aider à y voir un peu plus clair. Dans l’Ancien Testament, il y a au moins deux passages où le doigt de Dieu écrit sur la terre des hommes. Le premier, c’est au moment où Dieu grave les commandements sur des tables de pierre. La tête de liste de tous ces commandements, justement, prescrit aux Israélites d’aimer Dieu de tout leur cœur : de n’adorer que Dieu, seul. Mais, au moment même où Moïse apporte ces tables couvertes de l’écriture du Seigneur, le peuple vient de se tourner vers le veau d’or et de faire voler en éclats le pacte d’Alliance ! L’Alliance, dès le début, c’était mal engagé…
Le second passage, c’est dans le Livre de Daniel. La main de Dieu apparaît pour écrire sur le mur du palais la sentence qui condamnera à mort le roi de Babylone, car il a profané les vases du Temple de Jérusalem au cours d’une beuverie avec ses courtisans.
Au bout du compte, donc, lorsque la main de Dieu trace des lettres, c’est une lettre qui accuse et qui condamne. Un « lettre » qui « tue », comme le dira saint Paul (2 Co 3, 6), parce que, objectivement, l’humanité est incapable d’honorer les termes du contrat de mariage signé entre Dieu et elle.
Eh bien cette main divine, en Jésus, voilà qu’elle porte aujourd’hui la Loi à son achèvement, à sa plénitude. Cette main qui nous a façonnés à partir de la poussière du sol trace dans la même poussière non pas la sentence de notre condamnation, mais des mots qui soulèvent notre péché dans la lumière d’un amour qui n’est pas de ce monde.
Comme c’est difficile à croire ! Comme c’est exigeant d’être chrétien, si l’on songe que nos désirs de justice ne seront pas assouvis dans ce qu’ils ont de plus bas, mais saturés, comme par en haut. Quelle libération, aussi, pour nos cœurs inquiets, quand on découvre que Dieu ne retient pas les péchés et qu’un chemin de conversion peut encore s’ouvrir, jusqu’au bout.
« Ne faites plus mémoire des événements passés, ne songez plus aux choses d’autrefois. Voici que je fais une chose nouvelle. » Forts de ces paroles que nous avons entendues dans la bouche d’Isaïe (première lecture), ayons l’audace de Paul, et marchons avec confiance à la rencontre du Seigneur : « Oubliant ce qui est en arrière, et lancé vers l’avant, je cours vers le but, en vue du prix auquel Dieu nous appelle là-haut dans le Christ Jésus » (deuxième lecture). Bonne fin de Carême à tous.