L’arbre à ses fruits ?


Qui, parmi vous, frères et sœurs, a déjà fait son arbre généalogique ? Il paraît que c’est passionnant. Pas plus tard qu’hier, un ami me disait qu’il avait effectué des recherches et qu’il avait découvert que ses ancêtres remontaient aux rois de France !
Jésus, d’après la Bible, avait des ancêtres royaux dans son arbre généalogique. « Jésus, fils de David », comme on l’appelle dans le Nouveau Testament : le roi David, c’est-à-dire le dernier des fils de Jessé — ce « Jessé » dont nous parle le prophète Isaïe dans la première lecture.
Peut-être, d’ailleurs, avez-vous déjà vu des images de « l’arbre de Jessé » ? On en trouve, notamment, aux tympans de certaines cathédrales : à Rouen, par exemple, ou à Beauvais. Les artistes ont représenté un arbre, dans lequel sont mis en valeur les ancêtres du Christ ; au sommet de la ramure, évidemment, il y a Jésus lui-même, le plus beau fruit de cet arbre qui a poussé quelque mille ans auparavant à Bethléem.
À Bethléem ? Oui, car c’est là que se trouve « la souche de Jessé », « la racine de Jessé », pour reprendre l’image que nous donne Isaïe. Et c’est pour ça aussi que Jessé est représenté dans ces images comme le pied de l’arbre généalogique du Christ. On voit le tronc sortir des reins de ce vieillard : c’est la manière de figurer l’origine humaine de Jésus.
L’ennui, c’est que dans cet arbre généalogique, il n’y a pas que des bons fruits. Il y a des fruits sérieusement gâtés. Et c’est d’autant plus troublant qu’on en considère certains comme des saints, et même, traditionnellement, comme des auteurs de la Bible.
Pour ne prendre que les plus célèbres d’entre eux : le roi David, par exemple. Il serait l’auteur du livre des Psaumes. On le fête au calendrier liturgique le 29 décembre. Un grand roi, David ; mais un roi qui a aussi grandement péché. Il a terni son règne en commettant l’adultère avec Bethsabée ; et pour profiter plus tranquillement de sa conquête, il élimine le mari trompé… ça fait mauvais genre dans la généalogie du Christ.
Ou encore le roi Salomon — le fils de David et de Bethsabée, justement. C’est lui qui a bâti le Temple. On lui attribue des livres bibliques comme les Proverbes, Qohélet, ou encore le Cantique des Cantiques. Là aussi, c’est embarrassant : ce roi rendu célèbre par la sagesse exceptionnelle que Dieu lui avait accordée a terminé sa vie d’une manière moins glorieuse : au milieu d’un harem de « sept cents épouses de rang princier et trois-cents concubines » (1 R 11, 3). Et des concubines païennes, en plus, qui l’ont entraîné dans l’idolâtrie.
On peut donc être considéré comme un saint avec le passé de David ? Et même comme un auteur sacré avec le passé de Salomon ? Comme quoi, reconnaître un arbre à ses fruits, ce n’est pas si évident… et cela, la Bible le met crûment sous nos yeux, sans cacher la misère sous le tapis…
Pourquoi ? Sinon parce que c’est cette misère que Dieu vient saisir dans le Christ ? En fait, l’arbre généalogique du Christ, si on avait suivi à la lettre la prédication de Jean-Baptiste, il aurait fallu le couper, sans hésiter, à grands coups de hache. Du reste, n’est-ce pas un peu ce qui s’est passé quand la royauté, exténuée par les péchés des successeurs de David et de Salomon, a fait naufrage au cours de l’exil à Babylone, presque six cents ans avant le Christ ?
Mais la prédication de Jean-Baptiste n’est pas l’achèvement de l’histoire du salut. C’est Jean-Baptiste lui-même qui le dit : « Celui qui vient derrière moi est plus fort que moi. » De même, il y a plus puissant que le baptême de Jean-Baptiste : il y a le baptême de Jésus, le baptême dans l’Esprit Saint.
Certes, dans l’évangile selon saint Jean (Jn 15), on apprend que Dieu émonde sa vigne ; mais c’est pour qu’elle porte plus de fruits. Et le figuier stérile, dans saint Luc (Lc 13), on sait que Dieu l’entretient avec une patience inouïe, dans l’espoir qu’il finisse quand même par porter du fruit.
Dieu taille ; il coupe, peut-être ; mais il n’arrache pas. Jamais. La souche de Jessé, malgré ses fruits gâtés, est restée en terre, et Dieu, finalement, en a fait sortir le surgeon de notre salut : Jésus. Rien n’est impossible à Dieu. Même David s’est converti et est devenu un saint ! Même cette « engeance de vipères », ces serpents que fustige Jean-Baptiste, Isaïe nous apprend qu’un jour Dieu les rendra meilleurs ; tellement inoffensifs, du reste, qu’un petit enfant, comme celui de la crèche, jouera sur leur nid.
Frères et sœurs, et si ce début de l’année liturgique était pour nous l’occasion de recommencer à croire qu’aucun arbre n’est trop pourri, qu’aucune créature n’est trop venimeuse pour que Dieu ne puisse lui faire porter, un jour, un bon fruit ? Comme l’a dit le pape François, « il n’y a pas de saint sans passé, ni de pécheur sans futur ». C’est là notre espérance. Et si nous, chrétiens, nous n’espérons pas envers et contre tout, qui le fera pour nous ?

