Accueillir Vatican II


L’actualité m’invite à poser une question d’ordre religieux: qu’est-ce qu’une secte? Suffit-il d’un propos sociologique et de dire que c’est une minorité? Manifestement pas, puisque toute grande religion a commencé par être un petit groupe de croyants. Suffit-il d’un propos moral? Non bien sûr, ainsi en France les pouvoirs publics ne savent pas répondre, en raison du principe de laïcité et ils ne se prononcent qu’à propos de ce qui trouble l’ordre public. Pour répondre, il faut considérer le fond des choses et donc parler du contenu de la doctrine et de la pratique religieuse. Il apparaît alors qu’une secte se définit par trois critères: d’abord, la présence d’une forte personnalité (gourou, patriarche, prophète…) censée être infaillible à raison de son rapport immédiat à Dieu. Ensuite, il y a un texte de référence marqué du sceau de l’absolu dans sa lettre même, puisque venu directement de Dieu. Enfin, la pratique sépare des autres – en commençant par les règles alimentaires. Il s’agit bien d’une certaine manière de vivre le rapport à l’absolu, dont on voit la nocivité aux effets qui en découlent. En réfléchissant un peu, il apparaît que toute religion est menacée par la pesanteur qui fait les sectes. Nul n’y échappe; le christianisme lui-même est exposé à cette régression. C’est contre cette tentation que le concile Vatican II s’est élevé, voici déjà cinquante ans.La page de l’évangile de Marc lu ce dimanche éclaire cet événement fondateur. Voici un homme dans sa plénitude. Il a réussi socialement, puisqu’il est riche. Plus encore, il applique parfaitement la Loi de Moïse. Il éprouve cependant que ce n’est pas suffisant. Jésus lui demande de laisser tout cela et de marcher à sa suite. Il lui demande non seulement de quitter ses biens (la vie se chargera de le dépouiller), mais de se dépouiller de toute suffisance. Cet anonyme nous représente. Il peut aussi représenter notre Église, l’Église catholique romaine que nous aimons et servons, menacée de devenir une secte par ceux qui idéologiquement l’assimilaient à une «société parfaite», avec un souverain pontife infaillible en tout, un esprit de dogmatisme et un refus aveugle de la modernité. Le but du concile Vatican II fut et demeure l’exigence de vaincre cette tentation. Le concile a demandé de prendre comme source et fondement la révélation telle qu’elle apparaît dans toute sa force dans les évangiles. Ensuite, il a appelé à revenir à la Tradition entendue dans toute sa richesse et sa diversité. Enfin, il a invité à prendre en compte l’universalité – Vous le savez, le message chrétien ne s’appuie pas sur la seule autorité d’un texte révélé, mais il prend en compte toute l’œuvre de Dieu, la nature et donc les richesses de la pensée et du travail des hommes, acceptant ainsi de recevoir la vérité d’où qu’elle vienne. Vatican II a invité à rendre à l’Église son vrai visage, celui de la sainteté à l’image de cet homme invité à se dépouiller de toute suffisance. Jésus ne l’invite pas à une saine gestion de ses ressources financières; il l’invite à un renoncement total avec la suffisance de quelque ordre qu’elle soit: religieuse, doctrinale ou morale. Quelle désappropriation? Celle qui paraît dans l’attitude de Jésus.
L’homme riche s’approche de Jésus et s’adresse à lui en l’appelant: «Bon maître». Jésus rétorque que cette appellation ne convient pas, en lui disant «Dieu seul est bon». Ainsi Jésus renvoie à un autre, celui dont il tient la vie, celui dont il a reçu la mission de rassembler l’humanité, celui qui fera de lui par la résurrection le sauveur du monde. C’est ce mouvement de don de soi à Dieu qui tue à la racine toute tentation de faire d’une communauté de croyants une secte. C’est cette exigence qui a été mise en œuvre par le concile Vatican II.
Depuis le concile, le monde a changé. Ses textes ne répondent pas à toutes les questions actuelles… aussi il faut respecter non d’abord la lettre, mais le mouvement enclenché voici cinquante ans. Un geste le signifie. On raconte que le pape Jean XXIII interrogé sur le pourquoi de la convocation du concile n’a pas fait de discours; il est allé vers une fenêtre pour l’ouvrir. De l’air! Laisser passer le souffle de l’Esprit Saint. Aujourd’hui, il faut accueillir cet Esprit qui agit dans toutes les églises fondées par les apôtres, vivant de la parole de Dieu et invoquant Dieu le Père. L’Esprit Saint nous rappelle que l’Évangile doit être entendu dans sa nouveauté et que nous devons nous centrer sur la Parole de Dieu. L’Esprit Saint nous rappelle que l’Église est sel de la terre, levain dans la pâte – lumière du monde. J’ai lu avec tristesse les articles parus dans la presse cette semaine, selon lesquels le but du concile Vatican II aurait été de réconcilier l’Église et le monde. Quoi de plus faux! L’Église n’a pas à se réconcilier avec le monde, elle a mission de l’évangéliser, de le sauver, de le conduire à Dieu et d’y être le signe de l’amour de Dieu. Pour cela, il faut, comme l’homme riche rencontré par Jésus, nous dépouiller de toute suffisance et suivre le Christ en marche vers le Père qui est toute bonté, cette infinité bonté sans laquelle le monde va à sa perte.

