Mercredi dernier, à la fin de la messe, j’ai rencontré une paroissienne qui savait que j’allais prêcher le dimanche qui m’a dit: «Frère, pitié, ne nous parlez pas des élections, on en a vraiment marre». Je n’ai pas promis… heureusement! Comme une immense majorité de Français (nous étions tout de même plus de 40 millions), je n’ai pas regardé LE débat. Et, j’avoue, l’enveloppe «Urgent élections» reçue vendredi dernier n’a même pas été ouverte. Elle a filé à la poubelle, directement. Après tout, mon choix était fait, depuis longtemps. Puis j’ai eu des remords. Alors, je suis allé chercher l’enveloppe dans la poubelle. Et je l’ai trouvée étonnamment légère. Dedans, il n’y avait qu’un seul document. Au recto, il y avait la photo d’un homme, barbu, qui me disait bien quelque chose. Il avait un drôle de regard. Au verso, en guise de programme, il y avait 5 lignes: «Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres. Ce qui montrera à tous les hommes que vous êtes mes disciples, c’est l’amour que vous aurez les uns pour les autres.» Bizarre, non? Alors, j’ai refermé l’enveloppe et je me suis dit: «OK, j’irai».
Et je suis allé voter. Je suis sorti de notre couvent et j’allais prendre le raccourci vers le Chemin de la Pélude et au moment où j’allais tourner, un ange m’est apparu et il m’a dit: «non, non, tu fais fausse route, dirige-toi plutôt vers l’église conventuelle!» La grande porte était ouverte et il y avait un monde fou, une foule immense que nul ne pouvait dénombrer. Je me suis mis à faire la queue… interminable. Mince, j’allais arriver en retard à la messe! J’ai cherché ma montre dans ma poche… elle avait disparu! Ma carte d’électeur aussi… à la place j’ai trouvé mon certificat de baptême!
Comme il fallait que j’attende, j’ai regardé autour de moi. J’étais interloqué. Il régnait une grande joie. La joie des retrouvailles, la joie des noces. Et figurez-vous que j’y ai revu plein de gens connus – mes grands-parents morts depuis tant d’années, ces amis emportés trop tôt par une maladie terrible…il y avait même le pape Jean-Paul II! – et une foule immense d’anonymes. Et partout, dans les airs, des nuées d’anges qui chantaient la gloire de Dieu!
J’en étais encore à mon ravissement, quand une voix me fit sortir de ma rêverie: c’était une petite Carmélite – elle devait avoir la vingtaine – qui était devant moi dans la file d’attente. Elle me dit: «Bonjour, je m’appelle Thérèse et toi, qui es-tu? Tu viens aussi Le choisir?» Elle souriait. «Et tu as vu son programme?» J’ai sorti la feuille de ma poche. Elle m’a demandé: «Est-ce que tu l’as lu, vraiment bien lu?» Alors, docilement, je me suis mis à lire: «Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.» Et j’ai dit: «C’est quand même étrange, comme programme. D’abord, on ne nous promet rien. Ensuite on nous commande d’aimer… et aimer, ça ne se commande pas!» Je n’ai pas pu m’empêcher d’ajouter: «Et puis Je, c’est qui?»
Le regard de la petite Carmélite s’est illuminé: «Ce Je, c’est mon Bien-Aimé, mon Amour, Jésus! Et si tu es là, c’est que tu L’as choisi, Lui. Si tu es là, c’est qu’Il t’a choisi! Oui, tu as bien lu, il s’agit d’aimer. Pas d’être aimé. D’aimer. Même si ce n’est pas toujours compris. Moi-même, on me reprochait d’être trop dure avec les novices. Ce à quoi j’ai répondu: « Si je ne suis pas aimée, tant pis, moi je dis la vérité tout entière, qu’on ne vienne pas me trouver si on ne veut pas la savoir! » Rappelle-toi, il ne faut pas être aimé, il faut aimer, comme Il nous a aimés.
Regarde, là-bas, un peu plus loin, tu la vois, cette petite Béarnaise qui discute avec deux enfants? Elle ne lâche plus son chapelet depuis que Notre-Dame lui a fait l’insigne grâce de lui apparaître sur la terre. Eh bien, elle aussi, à qui il avait été dit qu’elle ne serait pas heureuse en ce monde, elle a compris que pour vivre l’évangile en plénitude, il suffit d’aimer. Tiens, elle est en train de discuter avec deux enfants. Tu les aperçois? Ce sont les petits François et Jacinthe. Je suis sûre qu’ensemble ils ont dû commencer hier une neuvaine à Notre-Dame de Fatima… après tout, nous fêtons les 90 ans des Apparitions dans une semaine!»
C’était le monde à l’envers et j’avais beau essayer de me frotter les yeux, je n’arrivais pas à m’arracher à cette douce torpeur. Et d’ailleurs, je n’en avais aucune envie.
C’est la jeune Carmélite qui m’a rappelé à la réalité.
Elle m’a demandé: «Veux-tu connaître mon secret?»
J’ai, bien entendu, répondu «Oui.»
Alors, elle m’a dit: «Ferme les yeux et répète après moi.» J’ai fermé les yeux. «Mon Dieu, je choisis tout»
J’ai répété, docilement, «Mon Dieu, je choisis tout.»
Elle a ajouté: «Je choisis tout ce que Vous voulez.»
Et j’ai répété, les yeux fermés: «Je choisis tout ce que Vous voulez.»
Quand j’ai rouvert les yeux, je me suis retrouvé seul dans notre église. Là, au fond, où je fais habituellement oraison. J’ai ouvert les yeux et je me suis trouvé face à cet homme crucifié, le Christ, mort pour moi. Et j’ai reconnu l’homme qui était sur mon bulletin. Je me suis avancé vers l’ambon et j’y ai lu l’évangile de ce jour: «Je vous donne un commandement nouveau: c’est de vous aimer les uns les autres. Comme je vous ai aimés, vous aussi, aimez-vous les uns les autres.». Il n’y avait plus personne. Peut-être les ailes des anges faisaient-elles encore vaciller la flamme des cierges…
Alors, frères et sœurs, aimez!
Aimez, avant qu’il ne soit trop tard.
Dites aux gens que vous aimez que vous les aimez, avant que leur vie ne soit pulvérisée par un 38 tonnes ou que la maladie ne les ait rongés, effroyablement.
Aimez à perdre la raison, aimez comme on ne saurait dire, même si ça fait mal, même si ça fait pleurer.
Aimez… à en mourir.
Amen.