Le témoignage de Moïse et d’Élie au tombeau


Voilà plus de 40 jours que nous nous préparons pour vivre cette nuit. Nous voici au sommet des trois jours saints où nous avons suivi le Christ au plus près. En cette nuit, nous sommes associés à la victoire du Christ sur la mort. Tout ce que le Christ a réalisé en 33 ans, tout ce qu’il a transmis à ses apôtres au cours de sa vie publique, trouve sa réalisation dans cette nuit de la résurrection.
Pourtant, on aurait pu s’attendre à ce que cette annonce de la Résurrection soit triomphante. Mais nous venons d’entendre l’Évangile de la Résurrection rapporté par saint Luc, qui est particulièrement sobre sur les signes qui sont donnés en ce matin de Pâques. Au moins, quand l’évangéliste Matthieu rapporte la visite des femmes au tombeau au matin de Pâques, il décrit une scène grandiose : « Il se fit [alors] un grand tremblement de terre : l’Ange du Seigneur descendit du ciel et vint rouler la pierre, sur laquelle il s’assit. […] À sa vue les gardes tressaillirent d’effroi et devinrent comme morts » (Mt 28, 2.4).
Dans l’évangile qui vient d’être proclamé, la pierre a déjà été roulée avant l’arrivée des femmes au tombeau. Saint Luc ne parle même pas des gardes ; ils continuent peut-être à dormir quelque part, en tout cas ils sont complètement absents. Enfin, il n’y a pas d’annonce faite par les anges : l’évangéliste mentionne seulement la présence de deux hommes « en habit éblouissant » (v. 4). Et voilà l’unique signe quelque peu extraordinaire qui est donné. Pour le reste, le tombeau est vide, les femmes sont saisies d’effroi, et les apôtres ne les croient pas.
Arrêtons-nous donc sur ce seul signe merveilleux qui nous est donné, puisque nous n’avons pas grand-chose d’autre. Et une question se pose tout d’abord : mais qui sont-ils donc ? Ne pensons pas qu’il s’agisse d’anges avec une apparence humaine : Luc est l’évangéliste de l’Annonciation, et il est le seul à rapporter la consolation du Christ par un ange lors de son agonie. Il sait donc faire la différence entre un homme et un ange. Ce sont donc bien deux hommes qui sont là. Dans une quarantaine de jours, au moment où le Christ va monter aux cieux, nous allons d’ailleurs les retrouver. Le jour de l’Ascension, Luc rapporte que les disciples gardaient les yeux fixés au ciel. Alors, « voici que deux hommes vêtus de blanc se trouvèrent à leurs côtés », qui vont les interroger en disant : « Pourquoi restez-vous ainsi à regarder le ciel ? » (Ac 1, 10-11). Mais surtout, rappelez-vous, nous les avons déjà rencontrés au cours de notre liturgie, il y a une quarantaine de jours lors de la Transfiguration. Luc rapporte que Pierre et ses compagnons virent la gloire du Christ et deux hommes, apparus en gloire, se tenaient avec lui (cf. Lc 9, 31). Là, au moins, nous avons leur nom : Moïse et Élie. Ces deux mêmes hommes vinrent témoigner auprès des femmes le matin de Pâques, en les renvoyant aux paroles de Jésus : « Rappelez-vous comment il vous a parlé, quand il était encore en Galilée » (v. 7). Un peu plus tard dans la journée, Jésus donnera aux disciples faisant route vers Emmaüs un signe très semblable : « Commençant par Moïse et parcourant tous les Prophètes, Jésus leur interpréta dans toutes les Écritures ce qui le concernait » (Lc 24, 27).
Ce signe a un grand avantage pour nous. Car ce soir, nous n’avons pas été témoins de la pierre roulée, nous n’avons pas entendu l’annonce de la Résurrection par les anges, nous n’avons pas vu le Christ ressuscité. Nous n’avons même pas vu les deux hommes en vêtement resplendissant. Mais, pourtant, leur parole a encore retenti à nos oreilles. En écoutant les passages de la Loi et des Prophètes, nous avons reçu les mêmes signes que ces premiers témoins de la Résurrection.
Fortes de cette connaissance de l’Écriture, les femmes vont alors témoigner de cette rencontre aux apôtres. Malheureusement, cela n’a pas eu, à première vue, le moindre succès. Saint Luc note : « Leurs propos leur semblèrent du radotage, et ils ne les crurent pas » (v. 11).
Un disciple, pourtant, va écouter les femmes. Il s’agit de Pierre. Le texte que nous avons entendu rapporte que Pierre « partit et courut au tombeau » (v. 12). Là, il est utile de retourner au texte original en grec. Le terme, qui est traduit par « partir », est celui de ἀναστὰς ; c’est le même verbe qui est employé quelques phrases auparavant, cette fois-ci pour signifier « ressusciter » : « Il fallait que le Fils de l’homme […] ressuscite le troisième jour » (v. 7). On pourrait le traduire dans les deux cas par « se lever » : au matin de Pâques, Jésus comme Pierre se sont levés tous les deux, l’un de sa mort corporelle et du tombeau, l’autre de son péché et de sa mort spirituelle. Nous avions laissé Pierre, ce Vendredi Saint, séparé du Christ, pleurant amèrement son reniement. Il avait proclamé vouloir donner sa vie pour Jésus, mais en réalité il a abandonné la source de la Vie éternelle. Suite au témoignage des femmes, il s’est relevé pour chercher le Christ, et sa recherche n’a pas été vaine. En se rendant au tombeau, il s’est rappelé peu à peu les paroles de son Sauveur, il a reconnu dans les événements qu’il venait de vivre la réalisation des promesses de l’Alliance, l’accomplissement des paroles transmises par Moïse et par Élie. Il fut ainsi le premier apôtre à rencontrer le Christ ressuscité.
Laissons-nous donc, comme Pierre, relever par le Christ : laissons-nous gagner par la Résurrection.

