Homélie du 9 janvier 2017 - Solennité de l'Épiphanie du Seigneur

Mages, cartographes de l’adoration

par

fr. Nicolas-Jean Porret

Mages, magiciens, enchanteurs ou Chaldéens  : voici un univers oriental poétique qui sent la gomme aromatique et l’encens, et aussi un peu le soufre… Dans la Bible les mages et les devins apparaissent souvent comme des « pharmaciens de pacotille » (cf. Dn 2, 2), dérisoires conseillers des rois païens… Leur pseudoscience se révèle inconsistante face à la Sagesse du véritable « Dieu du Ciel »  : le Dieu d’Israël, que servent les exilés, déportés de Jérusalem à Babylone — au rang desquels notamment le jeune et sage Daniel.
Et pourtant les mages de l’Évangile de saint Matthieu, eux, apparaissent droits et aimables  : aucune feinte dans leur obéissance en l’étoile qu’ils ont vue à son lever ; en elle ils reconnaissent le signe qui conduit au Dieu d’Israël. Cet astre — l’étoile de David — fut jadis prophétisé par Balaam, fils de Béor  : « Je le vois, mais non pour maintenant ; je l’aperçois, mais non de près  : un astre issu de Jacob devient chef, un sceptre se lève, issu d’Israël » (Nb 24,15-17). Aussi étrangement que pour Balaam — ce Balaam tour à tour manipulé par une ânesse puis contraint par l’Esprit de Dieu à bénir Israël —, nos mages semblent divinement hypnotisés par l’astre qui s’est levé dans le ciel oriental. Car autrement comment auraient-ils pu débarquer à Jérusalem et demander : « Où est le roi des juifs qui vient de naître […] nous sommes venus nous prosterner devant lui » ?
Leur humble et révérencieuse sagesse n’est pas une magie de pacotille. Ils viennent avec des intentions droites et pieuses. Leur démarche fait penser à celle de Naamân, le Syrien lépreux débarqué en Israël, au temps d’Élisée, sur le conseil d’une petite servante juive déportée par les Araméens. Nulle provocation de la part de ces païens  : car vraiment, d’Israël est attendue une révélation, un réconfort pour le corps ou pour l’âme — en retour de quoi on fera hommage au Dieu unique et vrai qui s’est révélé à ce peuple saint qu’il s’est choisi, en vue de se révéler à tous.
Mais quoi ? vieil Hérode, tu es surpris… limite scandalisé ? Tout comme le roi d’Israël face à Naamân ? Pourtant sache qu’il y a un prophète en Israël, et même plus qu’un prophète  : un roi ! Cela t’aura sans doute échappé  : le Messie Seigneur, fils de David, vient de naître. À peine l’apprends-tu que déjà, félon, tu veux le supprimer ! Tu ourdis un plan pour te préserver, quitte à supprimer un nouveau-né, et pourquoi pas toute une génération d’innocents avec lui…
La droiture de la démarche de nos mages contraste avec ta coupable et cruelle ignorance. Grâce à l’astre qui réapparaît — comme pour suppléer à ta défaillance et à celle de « tout Jérusalem » aveuglée —, voici que nos pèlerins orientaux atteignent leur but. Quel but ? Jésus ! Jésus très adorable, endormi près de sa mère. Genoux à terre, les mages adorent le roi fait petit enfant. Quel tableau ! Ces princes (qui sont des prêtres) cadrent parfaitement avec la simplicité de la Vierge Marie, avec la simplicité de saint Joseph et du nourrisson divin. Dans nos crèches ils ne détonnent pas !
Arrivés avec une simple question de lieu (où est le roi nouveau-né ?), ils apportaient en réalité des trésors de révélation, de manifestation, bref d’Épiphanie. Bien sûr Noël était déjà une Épiphanie. Pour les anges, pour Marie, pour Joseph, pour les pauvres bergers de Bethléem, Jésus apparaissait déjà comme le ciel sur la terre. Mais Dieu a voulu que des païens orientaux viennent élargir nos yeux à son mystère bienveillant  : la quête et l’adoration des mages constituent une manifestation épiphanique, un élargissement de la Révélation de Noël à toutes les Nations, à tous les païens.
Car nos ambassadeurs ne sont pas arrivés les mains vides. Avec eux, de nombreux chameaux (de Madian et d’Épha) apportaient des trésors (qu’on ne revend pas sur Internet après les fêtes…). De l’or ! De l’encens ! De la myrrhe ! Qui est Jésus pour de tels cadeaux ? Que nous révèlent ces cartographes du ciel transformés en cartographes de l’adoration ?
1°, que Jésus est roi  : il est le Messie véritable attendu d’Israël — cela les grands prêtres et les scribes du peuple pouvaient le dire, en citant Michée — ; mais les mages le rendent évident. À Jésus-roi, l’or de Saba !
2°, que Jésus est Dieu. Marie le devinait, mais l’encens le signifie de façon obvie, qui fait monter la pure adoration, dégagée des ambiguïtés liées aux sacrifices d’animaux malodorants qui requérait souvent le masque de parfums d’encens. À Jésus-Dieu-accessible, l’encens divin !
3°, que Jésus est homme, et donc mortel. La myrrhe des embaumements honore le bébé emmailloté, serré dans des langes qui font penser à… un linceul. S’il échappe aujourd’hui à la cruauté d’Hérode, demain il ressuscitera Lazare et précipitera sa passion ; après-demain il connaîtra l’amertume de notre mort… et le troisième jour il ressuscitera. À Jésus-mortel-vainqueur-de-la-mort, la myrrhe !

Et nous, frères et sœurs Occidentaux ou Orientaux… quels adorateurs sommes-nous ? Quels sont nos hommages au Fils né de Marie ? Quels sont nos cadeaux ? Il est toujours temps de se mettre en route. Avec les mages, obéissons à l’étoile ! Osons entrer avec eux dans la famille des patriarches ; acquerrons avec eux l’Israelitica dignitas. Soyons manifestés en Jésus roi-Dieu-mortel-immortel qui nous a été manifesté. Notre dignité c’est notre baptême en sa Naissance et en sa Pâque. Ainsi nous constitue-t-il ses adorateurs. Oui, offrons-nous dès à présent avec lui, afin d’entrer dans son héritage !

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