Homélie du 19 décembre 1999 - 4e DA

« Celui qui naît de toi est notre vrai Royaume »

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Alors que s’achève le temps de l’Avent, revenons quelques instants à son début. Le deuxième dimanche, en effet, le frère Olivier-Thomas Venard terminait son homélie en rappelant que nous étions dans «le dernier Avent du millénaire».

Même si, en rigueur de termes, le XXIe siècle ne commencera qu’en 2001, je voudrais revenir à cette expression, car je crois qu’elle est d’une extrême importance pour bien comprendre ce que nous vivons aujourd’hui. Avec ce dernier dimanche «du dernier Avent du millénaire», c’est vraiment une époque qui finit. Jadis, Paul Claudel, devant une illustre Compagnie, eut ces mots: «Attention, le monde va finir. Et c’est bien vrai qu’il va finir, puisque le moment est venu pour lui de recommencer». Pour nous, dans cet «aujourd’hui» de l’Avent, dans cet hodie de la liturgie, le temps des prophètes s’achève, «le Verbe commence en nous, (en notre humanité) comme il a commencé avec Dieu dans le principe», et les promesses s’accomplissent en Marie. C’est d’abord pour elle et ensuite pour nous que le monde recommence: «Que tout se passe pour moi selon ta parole». Et pour nous, frères et sœurs, que va-t-il se passer? Le monde va-t-il finir? Un monde va-t-il commencer? Oui, on peut le dire à la manière des sociologues: en cette fin de siècle, nous touchons à la fin d’un monde. À la fin du monde issu de la triade monstrueuse science/ technique/ industrie. Notez bien que je n’ai rien contre la science, la technique et l’industrie, – je suis personnellement très content de ce qu’elles apportent à mon confort quotidien -, mais il n’est pas douteux qu’elles ont engendré la dégradation «de la biosphère et de la sociosphère» (Edgar Morin). La collusion de la science, des techniques, de l’industrie avec le profit et la rentabilité empoisonne à tous les sens du terme, non seulement nos océans et nos mers, mais notre vie. Et nous ne disons rien parce que nous nous sentons impuissants, dépassés, pas concernés: nous ne sommes pas encore devenus citoyens d’une «terre Patrie». Cependant, si l’on en croit les mêmes observateurs de la vie sociale, «un monde nouveau surgit des brouillards de décembre 1999»: le monde de la recherche du mieux, de la qualité de la vie, de l’air, des aliments; bref, un monde où émerge lentement une certaine conscience des problèmes fondamentaux pour le genre humain et pour sa survie, car le sort de l’homme est effectivement en jeu et, dans ces conditions, on peut vraiment parler d’ une fin du monde.

Voilà quelle est, très grossièrement, la vision sociologique des choses, dans laquelle le christianisme retrouve certaines de ses intuitions, de ses valeurs, de ses «options préférentielles». À ceci près que, comme chrétiens, nous n’attendons pas une société utopique, une ère nouvelle, mais Quelqu’un. Nous n’attendons pas un monde nouveau car nous croyons que c’est une fois pour toutes, au temps marqué, que Dieu s’est réconcilié le monde en Jésus-Christ. Méditer sur l’Évangile de l’Annonciation c’est méditer sur cette vérité que nous chantons dans le magnifique choral de l’Avent: «Celui qui naît de toi est notre vrai Royaume». Donc, ce que nous attendons c’est et ce sera toujours Quelqu’un. C’est cela l’Annonce faite à Marie; «Voici que tu concevras en ton sein et enfanteras un fils» (Lc, 1, 31), ce Fils, dont l’Écriture ne cesse de dire le mystère: «Jésus-Christ, révélation d’un mystère enveloppé de silence aux siècles éternels mais aujourd’hui manifesté» (Ro. 16, 25); ce Fils, dont les poètes ne cessent de nous parler, à mots couverts: «Quelque chose avant sa venue le pressent, quelque chose après sa venue se souvient de lui, la beauté sur la terre est ce quelque chose. La beauté du visible est faite de l’invisible tremblement des atomes déplacés par son corps en marche» (C. Bobin, L’Homme qui marche). Verbe fait chair, corps en marche, cœur de notre vie, il nous est demandé, en cette année jubilaire de nous recentrer sur ce Fils que les siècles n’ont pas épuisé car il est toujours le Nouveau-né, le Premier-né d’entre les morts, il est toujours l’Enfant qui nous est donné comme signe de la nouveauté irréductible de Dieu. Et c’est à cause de cette nouveauté toujours nouvelle du Christ, qui donne sens à toute l’histoire des hommes et à chaque vie humaine, que nous nous levons le matin, et que nous construisons le monde. «Le miracle qui sauve le monde, écrivait Hannah Arendt, […] c’est la naissance d’hommes nouveaux, le fait qu’ils commencent à nouveau, l’action dont ils sont capables par droit de naissance [mais] cette espérance, cette foi dans le monde ont trouvé sans doute leur expression la plus succincte, la plus glorieuse dans la petite phrase des Évangiles annonçant leur ‘bonne nouvelle’: ‘Un enfant nous est né’» (Condition de l’Homme moderne). Le miracle qui sauve le monde, c’est le miracle de la Nativité, et par suite, le miracle de toute naissance d’homme qui le continue. Parce qu’un jour une femme de notre race a dit son fiat, son oui, Dieu a ouvert définitivement un avenir à l’homme, un salut en son Fils: c’est lui le Royaume nouveau, le monde qui vient. «Quelques minutes encore et notre longue attente est finie! crie le poète. Les semaines de Daniel ont terme, Noël commence aujourd’hui» (P. Claudel, Corona benignitatis anni Dei).

Voici qu’il naît pour nous naissions en lui

 

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