[|I|]
Imaginez qu’on vous annonce, je ne dis pas seulement la destruction de S. Pierre de Rome, mais l’anéantissement de toutes les cathédrales, églises et jusqu’à la moindre chapelle sur toute la surface de la terre. Eh bien les apôtres ont dû éprouver une émotion de ce genre en entendant Jésus prononcer ces mots «de ce temple que vous contemplez, il ne restera pas pierre sur pierre». Car il n’existait en tout Israël qu’un seul et unique lieu où le peuple de Dieu pouvait offrir le culte au Seigneur: le temple de Jérusalem. Annoncer sa destruction, c’est comme si on nous disait, à nous catholiques, qu’on ne pourra plus jamais célébrer la Messe. Et qu’est-ce que nous en conclurions? Que la fin du monde, est pour bientôt. Eh bien, c’est ainsi que les apôtres ont compris cette prophétie de Jésus. D’où leur question angoissée: Quand tout cela va-t-il arriver? Qu’on leur indique au moins à quels signes on reconnaîtra que cette fin est proche de façon à pouvoir s’y préparer. Pour ce qui est des signes, la réponse de Jésus n’est pas très claire. Mais il y a un point sur lequel il est parfaitement clair: du seul fait que nous sommes disciples du Christ, nous serons persécutés et il en ira toujours ainsi jusqu’à son retour dans la gloire. Comment pourrait-il en aller autrement? Jésus nous en a prévenu: «le serviteur n’est pas plus grand que le maître: s’ils m’ont persécuté, ils vous persécuteront aussi».
[|II|]
Le grand inconvénient de notre condition chrétienne? C’est de devoir se mettre à la suite d’un Messie persécuté et crucifié. Pas moyen de suivre Jésus sans être soumis comme lui à de multiples agressions. Il y a les agressions sanglantes dont nos frères du Moyen-Orient font la terrible expérience. Mais si de telles épreuves nous sont épargnées, ne nous y trompons pas: d’une manière où d’une autre, la foi de chacun d’entre nous est forcément exposée à de multiples agressions. Celles qui viennent d’un monde hostile au christianisme? Sans doute. Mais notre foi est en proie à un autre genre de persécution autrement plus redoutable parce qu’elle vient du dedans de nous-mêmes: de cette voix intérieure qui sait si bien tirer parti des épreuves qui déstabilisent notre foi pour susurrer à l’oreille «où est-il ton Dieu?» La maladie te frappe ou s’en prend à ceux que tu aime? Mais alors, «où est-il ton Dieu?» La mort t’a arraché un proche? «Où est-il ton Dieu?» Ton conjoint t’a ignominieusement abandonné en te laissant les enfants sur les bras? «Où est-il ton Dieu?» Mais aussi, plus insidieusement: la vie te paraît terne, et malgré tes prières, apparemment rien ne change: «où est-il ton Dieu?» Tu déprimes sans savoir pourquoi, tu retombes toujours dans les mêmes fautes, tu succombes toujours aux mêmes tentations? «Mais que fait-il ton Dieu?» Est-ce qu’il s’intéresse vraiment à toi, ton Dieu, est-ce que tu peux vraiment compter sur lui? Et sinon pourquoi continuer à te soucier de lui?
[|III|]
En une formule, Jésus résume clairement l’enjeu du combat que notre foi doit mener contre cette voix intérieure: «c’est par votre constance que vous sauverez vos vie». La constance: ce terme essaie de traduire le grec hypomonè qui signifie tenir bon sous l’épreuve. Tenir bon sous l’épreuve? Oui mais pourquoi? Par motif de fierté personnelle? Pour ne pas perdre la face? Ce n’est pas de cela qu’il s’agit car Jésus précise «par votre constance vous sauverez vos vies ». Il faut tenir bon parce qu’il en va tout simplement de notre vie! Non certes de notre vie biologique, mais de cette vie éternelle qui a déjà commencé ici-bas. La vie qu’il s’agit de sauvegarder n’est autre que cette communion avec Dieu en laquelle consiste notre existence chrétienne. Voilà ce que nous avons de plus précieux, voilà ce que notre endurance doit sauver à tout prix! C’est dans la mesure où nous tenons à Dieu que nous pourrons tenir face aux épreuves de l’existence. Mais en définitive, ce qui nous fait tenir à Dieu, c’est la conviction que lui tient vraiment à nous. «Où est-il ton Dieu?» Eh bien le Vendredi-Saint, notre Dieu était sur la croix. Certes, les épreuves ne sont pas le seul lieu où nous puissions le rencontrer. Dieu merci nous pouvons le rencontrer partout, et notamment au cœur des vraies joies de l’existence. Pourtant il y a une chose de sûre: sur la croix Dieu est là. Pourvu que nous fassions l’effort de fixer notre regard sur la croix, nous sommes certains de l’y rencontrer. Comment en irait-il autrement? Celui qui a expérimenté notre détresse au point de crier vers son Père «pourquoi l’a tu abandonné», le Fils de Dieu, pourrait-il songer un seul instant à nous abandonner? Telle est la conviction dans laquelle nous devons puiser l’énergie nécessaire pour tenir. Et s’il nous arrivait d’abandonner le combat au plus fort de l’épreuve, n’en doutons pas: pourvu que nous fixions notre regard sur la croix du Christ, nous puiserons la force de nous relever pour tenir aussi longtemps qu’il le faudra. Le combat est difficile, et comme on dit, «on y perd des plumes» ! Oui, mais voilà: l’Évangile d’aujourd’hui semble affirmer le contraire: «Pas un cheveu de votre tête ne se perdra». Alors on y perd des plumes? Ou bien on garde intacte sa chevelure? Les deux sont vrais. On y perd des plumes, car pour rester fidèle, il faut en brûler de l’énergie! Et pourtant cette énergie dépensée n’est pas perdue. Pour celui qui s’attache vraiment au Christ, rien ne se perd, tout se transforme. Car l’épreuve met le chrétien en demeure de «re-choisir» son Seigneur, tout comme l’épreuve endurée par le couple le somme de resserrer ses liens ou sous peine de se dissoudre.
«Ce qui ne tue pas rend plus fort»: oui cela est vrai pour celui qui contre vents en marées conserve toujours le réflexe vital de tenir en s’attachant à celui qui tient tant à nous, à celui qui a tout supporté pour nous.