Chemin de conversion


Cette année, notre Carême va être bien particulier. Il est difficile de se tourner vers la vie nouvelle que nous recevrons de Dieu à Pâques, quand l’actualité nous met face à nos craintes et nos fragilités. Alors que les informations nous sont données pour sauvegarder notre santé, la liturgie nous parle de conversion vers la sainteté, du don de notre vie à Dieu et au prochain. C’est pourtant l’enjeu de l’ensemble des évangiles tiré de celui de saint Jean que nous entendrons au cours de la liturgie dominicale. Arrêtons-nous donc un moment sur l’appel qui nous est lancé aujourd’hui.
Après la vocation des premiers disciples et le premier signe de Jésus à Cana, l’Évangile de Jean nous rapporte deux rencontres de Jésus. La première, au chap. 3, est la rencontre du Christ avec Nicodème. Ce pharisien, membre du Sanhédrin, vient de nuit. Il veut donc rester cacher, et pourtant c’est lui qui a pris l’initiative de la rencontre avec Jésus. Il reconnaît bien que celui-ci vient de Dieu, mais en même temps, il atteste qu’il ne comprend rien à son message : « Comment cela va-t-il se faire ? » demande-t-il, sous-entendu : « Ce que tu déclares est impossible. » Jésus va le renvoyer alors à sa connaissance de la Loi, à l’enseignement des prophètes, et aussi à son ignorance des chemins de Dieu : « Si vous ne croyez pas quand je vous dis les choses de la terre, comment croirez-vous quand je vous dirai les choses du ciel ? » Pour devenir disciple, Nicodème doit convertir son intelligence, accepter de devenir de nouveau petit enfant, de renaître pour entrer dans la voie du salut.
La liturgie aujourd’hui nous conduit à faire face à une deuxième personne, au chapitre suivant, le chap. 4 de l’Évangile de Jean. Cette fois-ci, la rencontre se fait en plein jour, un peu par hasard, et on ne connaît pas vraiment cette personne qui vient avec sa cruche puiser de l’eau. On ne connaît pas son nom, seulement sa région : c’est une Samaritaine. Par contre, nous allons apprendre à la connaître peu à peu. On va être renseigné sur sa situation familiale, sa foi, les relations qu’elle entretient avec les autres…
Ces deux personnes, tant Nicodème que la Samaritaine, reçoivent de Jésus un appel à la conversion. Ainsi, en ce Carême, nous voici entraîner à leur suite, et l’évangile que nous avons entendu va nous tracer un véritable chemin en quatre étapes.
Première étape : se rendre compte de son insatisfaction. Cette femme manifeste sa colère auprès de Jésus dès le commencement, dès que Jésus lui parle : « Comment ! Toi qui es juif, tu me demandes quelque chose ? » Elle veut rejeter Jésus comme elle rejette tous les autres d’ailleurs, car pourquoi venir puiser de l’eau à midi, au plus chaud de la journée, si ce n’est pour ne rencontrer personne. Jésus a beau chercher le contact, à nouer une relation, elle ne répond que pour couper court à toute conversation : « D’où l’as-tu donc, l’eau vive ? » ; « Donne-la moi donc, cette eau, que je ne vienne plus ici pour puiser ! » Et cela va durer jusqu’à ce que Jésus la confronte à sa situation concrète.
Nous passons alors à la deuxième étape : se reconnaître en vérité. Jésus l’interpelle donc en lui disant : « Va, appelle ton mari ! » Désarçonnée par cette question, la femme commence par refuser de répondre : « Je n’ai pas de mari », mais suite à la nouvelle réponse de Jésus « Tu en as eu cinq », elle change de registre et va interroger Jésus sur la foi : « En quel lieu faut-il adorer Dieu ? » Et là, elle va écouter la réponse de Jésus.
Alors, c’est la troisième étape : la femme va exprimer ce qu’elle désire. Elle ne sait pas le faire de manière complète, mais elle désire, après avoir tant râlé ! « Je sais que le Messie doit venir. » Alors qu’elle semblait ne vivre que pour elle, nous savons maintenant que cette femme attend quelqu’un qui changera sa vie. Elle ne vit pas sans aucune espérance, ou dans un indifférentisme, pensant que toute situation, toute pensée, s’équivalent, mais elle vit dans l’attente, une attente bien enfouie en elle. Et cette attente est celle de la rencontre avec Dieu : le Messie doit venir tout nous dévoiler. Elle n’aurait jamais pu exprimer cela au point de départ, et pourtant c’est ce qu’elle désire, rencontrer Dieu en esprit et en vérité. En Jésus, elle a rencontré Dieu qui s’est fait homme, et c’est cela qui a tout changé dans sa vie. Elle en oublie d’ailleurs ses préoccupations : elle laisse là sa cruche avant de retourner dans son village.
Quatrième étape : nous en arrivons aux fruits de la conversion. L’humilité avec laquelle elle retourne dans son village le montre. Elle qui ne voulait voir personne, elle entre en contact avec les autres ; elle qui ne voulait se laisser approcher par personne, elle témoigne de sa vie : « Il m’a dit tout ce que j’ai fait. » Elle qui n’acceptait de dialoguer avec personne, elle exprime sa foi avec humilité : « Ne serait-il pas le Christ ? »
Ce chemin doit être le nôtre au cours de ce Carême. Bon, avouons-le, nous n’avons pas envie de nous convertir. Parler de conversion, cela serait entrer dans une voie d’austérité, d’abandon, d’acceptation de sa faiblesse, de reconnaissance de son péché, ce n’est pas un programme très réjouissant au premier abord. Et en plus, cette année, avec ce virus qui traîne, on en a encore moins envie. Mais Dieu ne nous appelle pas à simplement reconnaître notre faiblesse ou notre péché. Il ne nous appelle pas à vivre une vie au rabais. Il ne veut pas nous laisser faibles pour manifester une grandeur réservée à lui. Il nous appelle à la vie divine, à entrer en communion avec la Trinité tout entière. Il veut nous partager sa vie : « L’heure vient, et c’est maintenant, où les véritables adorateurs adoreront le Père en esprit et en vérité, car tels sont les adorateurs que cherche le Père. » Avancer sur le chemin de la conversion est en réalité la seule voie pour se laisser remplir par Dieu et ainsi se retrouver vraiment soi-même. Soyons donc ces vrais adorateurs que cherche le Père, ne désertons pas cette mission que nous avons reçue de lui : Dieu est le seul qui peut combler le cœur de l’homme.

