Consolez mon Peuple


« Consolez, consolez mon Peuple, dit votre Dieu » (Is 40, 1). Ce texte, lu en première lecture, habituellement entendu pendant l’Avent, apparaît surprenant en cette fête du Baptême du Christ. Il me donne, il vous donne matière à réflexion.
Cette solennité évoque, dans les commentaires habituels, le prototype de notre propre baptême, ce plongeon réalisé par chacun une fois pour toutes dans la mort et la résurrection du Christ. Si toute parole de Dieu, si tout geste de Jésus sont destinés à notre enseignement, quel rapport entre cette prophétie d’Isaïe et la descente de Jésus dans les eaux du Jourdain où il a reçu le baptême de conversion initié par saint Jean-Baptiste ?
Il n’advient pas de transformation spéciale dans l’être de Jésus en ce moment de sa vie à l’inverse de ce qui survient en nous par le caractère du baptême et l’effet nouveau de la grâce. L’Esprit Saint habite l’humanité de Jésus depuis sa conception. L’Esprit l’a conduit au Temple de Jérusalem quand il avait douze ans indépendamment de ses parents. L’Esprit ne le quitte pas un instant en sa mission divine. Qu’annonce alors cet acte librement accompli par Jésus ?
Le baptême pour notre Seigneur signifie d’abord le passage de sa vie cachée à sa vie publique. La voix du Père audible certifie cette mission publique : « C’est toi mon Fils bien-aimé, en toi j’ai mis tout mon amour » (Lc 3, 22). L’Esprit descend sur lui sous une apparence corporelle, visible, celle d’une colombe. La Trinité se manifeste en ce jour, le Père dans la voix, le Fils descendant et remontant des eaux du Jourdain, l’Esprit par la colombe, et cela suffit pour affirmer que c’est une consolation pour le peuple de Dieu et l’humanité entière.
La question se pose cependant : le baptême a-t-il été pour Jésus à lui seul une consolation pour sa propre humanité ? Mais peut-on consoler Dieu, peut-on également consoler Jésus ?
Par Isaïe, Dieu déclare dans une autre prophétie : « N’essayez pas de me consoler de la ruine de mon peuple » (Is 22, 4) — parole ô combien d’actualité ! Le prophète Isaïe tient donc qu’on peut ne plus pouvoir consoler Dieu à la suite d’un désastre, tout comme on pourrait le consoler si notre volonté avait été rectifiée au point de réaliser sa volonté.
Dans « consolez, consolez mon Peuple, dit votre Dieu » (Is 40, 1), une espérance renaît. Et même si l’on enjoint ici de consoler le peuple de Dieu, cette consolation ne remonte-t-elle pas finalement à consoler Dieu lui-même dans un sens parallèle à cette prophétie à peine évoquée d’Isaïe (22, 4) ?
En disant qu’on peut consoler Dieu, il faut cependant purifier cette croyance en exprimant qu’elle est purement déclarative : elle affirme de foi que la consolation vient de Dieu seul en un sens causatif, effectif. Plus exactement, Dieu nous donne en le consolant (affirmation déclarative) la joie de savoir qu’il est la source de toute consolation (BJ / Crampon), de tout réconfort (Osty, traduction littérale) ce qu’on retrouve au début de la seconde lettre de saint Paul aux Corinthiens à propos de « Dieu de toute consolation » (cf. 2 Co 1, 3-7 ; 2 Co 7, 4.7.13).
Jésus, lui-même, enseigne l’évangile de saint Luc (en cette année C), au moment de son agonie a reçu le réconfort de l’ange (cf. Lc 22, 43). Sa volonté naturelle devait être fortifiée jusqu’à pouvoir s’ajuster à sa propre volonté divine (concile de Constantinople III) pour affronter l’agonie : « Non pas ma volonté mais la tienne » (Lc 22, 42). Jésus sur qui reposait l’Esprit (cf. Lc 4, 18) jouissait déjà de la force de l’Esprit (cf. Is 11, 2), mais avait à actualiser la présence de ce don par la prière pour qu’elle rejaillisse sur toute son humanité et pour nous procurer un exemple de prière.
En outre, Jésus a résidé dans sa vie publique débutée le jour de son baptême essentiellement à Capharnaüm (Kfar Nahum), en hébreu, Kfar désignant le village et Nahum la compassion, la consolation : « Village de la consolation ». On traduit parfois aussi par « village du Consolé » en pensant à Jésus dans le passage (allégorique) de l’Ancien au Nouveau Testament !
Oui, nous pouvons consoler l’humanité de Jésus par le truchement de la réciprocité interne à son corps : « Tout ce que vous ferez au plus petit d’entre les miens c’est à moi que vous le ferez » (Mt 25, 40) a averti Jésus. Saint Paul en a fait la douloureuse expérience sur le chemin de Damas : « Saul, Saul, pourquoi me persécutes-tu ? » (Ac 9, 4). Il y a appris la réversibilité des mérites : « Sommes-nous dans la tribulation, c’est pour votre consolation et salut » (2 Co 1, 6). En entrant dans les eaux du Jourdain, celles du péché, Jésus est entré dans la circularité de l’amour pour nous. Le moteur de cette circularité c’est la vie offerte de Jésus : « La circularité qui existe entre “moralité – pardon – expiation” ne peut être rompue ; s’il manque un élément, tout le reste tombe également » (Joseph Ratzinger, 1er septembre 1990, Rimini, n° 1).
Sainte Teresa de Calcutta (1910-1997), fondatrice des Sœurs Missionnaires de la Charité, écrivait : « Que de la plénitude de mon cœur, je console Jésus caché dans la détresse des pauvres » (No Greater Love, p. 10).
Pour cette année qui débute, prenons donc la résolution de consoler le cœur de Jésus après les déferlantes de l’an passé.

