Homélie du 26 septembre 2021 - 26e dimanche du T. O.

De sel et de feu. Pour l’honneur de la théologie

par

fr. Jean-Michel Maldamé

Le 15 août, nous fêtions en cette église comme en bien d’autres lieux de notre pays l’Assomption de la Vierge Marie. Fête de lumière et d’espoir, d’espérance et de confiance. Ce même jour, les talibans sont entrés dans Kaboul. Temps du désastre et amertume de la défaite. Pour suivre les événements, j’ai pris le temps de lire plus attentivement les journaux, les magazines et d’écouter les informations. En présentant les talibans, les journalistes disent que ce mot, venu de l’arabe, signifie « étudiant en théologie ». Soit ! Avançant dans la lecture de ces documents, je vois que cette traduction non critiquée a un effet pervers : l’identification de l’étude de la théologie avec la carrière de ces soldats huchés sur leurs véhicules derrière leurs mitrailleuses ou postés aux carrefours, armes à la main, pour regarder si les femmes sont soumises et les jeunes gens dociles. J’y vois la même tonalité que dans les informations de cette semaine où l’on constate qu’aujourd’hui en France plus de la moitié de la population ne croit pas en Dieu ; c’est annoncé comme une bonne nouvelle, comme un signe de liberté de penser. Tristesse ! Face aux ténèbres du fanatisme et face à la grisaille de l’indifférence, comment vivre la lumière de la foi ?

Pour éclairer le chemin, une phrase de l’Évangile vient à point : « Tous seront salés par le feu » (Mc 9, 49). L’image est simple. Quand j’étais enfant, en jouant avec mes frères, il nous arrivait de prendre du sel (du gros sel) et de le placer dans la flamme d’une bougie et de voir s’élever une belle flamme bleue ou verte. Jésus reprend ce fait pour nous dire que la foi est comme le sel qui devient flamme. Cette flamme doit être nourrie, fortifiée. Aussi la vie chrétienne, la vie de tous les baptisés, se nourrit de la lecture de la Bible et des textes qui fondent la Tradition. C’est une lecture intelligente où l’esprit critique a sa place, car notre foi est lumière et pas une soumission aveugle. Cette démarche suppose un travail. Elle suppose que l’on prenne le temps de la prière personnelle, de la lecture, de la réflexion. Elle se fait dans les groupes de vie chrétienne. Les modes sont divers et différents — c’est la richesse de notre assemblée que de le faire avec sérieux.

L’image de la flamme convient pour dire ce que signifie être « étudiant en théologie », au sens noble du terme. En bon français, un étudiant suit des cours à l’université ou dans une grande école ; il apprend non seulement des faits et des théories, mais il développe son esprit critique et l’art du jugement en tout domaine de la vie et de la pensée. En bon français, la théologie est au sens premier une connaissance de Dieu documentée, réfléchie et critique. C’est le contraire du fanatisme. Le fondement est que pour un chrétien la Bible n’est pas un livre dicté par Dieu, c’est un texte inspiré. C’est-à-dire que l’Esprit Saint assiste l’écrivain dans le respect de sa personnalité — ainsi la Bible a été écrite par des auteurs au sens plénier du terme. Un simple regard sur les évangiles le montre ; on voit tout de suite que Matthieu, Marc, Luc et Jean ont leur personnalité, leur génie et leurs limites. De même pour les prophètes et les sages qui ont écrit l’Ancien Testament : Isaïe n’est pas Jonas qui n’est pas David qui n’est pas Moïse… Le reconnaître c’est voir que rien dans la révélation chrétienne ne peut justifier le fanatisme. Si les talibans en sont la figure aujourd’hui, il est hélas de toujours. Il pointe dans la parole de Jean qui veut que Jésus écarte quelqu’un qui fait des miracles au nom de Jésus sans être avec les apôtres (Mc 9, 38-40). Jésus le récuse ; il ne limite pas le pouvoir de libération en son nom à ceux qui marchent avec lui sur la route. Terrible tentation de s’arroger le monopole du salut ! Jésus ouvre le salut à tous. Le geste le plus simple suffit : donner un verre d’eau à qui a soif. Tout le monde peut le faire. Jésus nous apprend ainsi que la plus petite bonté ouvre la porte du Paradis. C’est le contraire du fanatisme, de l’intégrisme et autres totalitarismes fondés sur la prétention à avoir le monopole de la possession de la vérité.

Est-ce une voie de facilité, de complaisance avec l’esprit du monde ? Pas du tout, aussi Jésus explicite tout aussitôt que cette attitude repose sur une extrême rigueur de vie ; elle est exprimée ici par la figure de l’amputation (Mc 9, 42-48). Il ne s’agit pas ici de chirurgie, mais de notre libération. De même que la lumière chasse les ténèbres, il faut que nos capacités d’action soient toutes disponibles pour être l’instrument de la bonté où advient le règne de Dieu. Les sportifs le savent : des renoncements sont nécessaires pour vaincre. Mais ici il ne s’agit pas de grignoter quelques secondes à la course, il s’agit de vivre : il s’agit de la vie éternelle. Être salé par le feu : qu’est-ce à dire, sinon que dans le monde présent nous avons à souffrir en raison de notre foi ? Mais aussi cette brûlure signifie notre participation à la Pâque de Jésus car sa victoire sur la mort est lumière. Ainsi la parole de Jésus est notre point d’appui contre les ténèbres du fanatisme ; elle est notre réconfort dans la tristesse face à l’indifférence ; elle est une lumière qui tranche avec toute complaisance. Le rapport sur les abus sexuels du clergé en montre les effets pervers.

Comme les enfants qui jouent en voyant la flamme bleue qui s’élève de la bougie où ils ont placé des grains de sel, regardons plus loin que le présent. Ainsi le 15 août quand les talibans rentraient dans Kaboul, nous avions bien raison de regarder plus avant et de voir l’avenir de l’humanité dans le mouvement de l’Assomption de Marie, la femme poursuivie par la fureur du dragon (Ap 12, 1-6).

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