« Des déserts, des voix, un cœur »

Dans les déserts de nos sociétés d’abondance une voix crie: «Chers amis: la crise est finie! Le pays est enfin entré dans une période de croissance, préparez-vous aux lendemains qui chantent, on va bientôt raser gratis! Fréquentez mes temples, ces hypermarchés de marbre et de cristal qui encerclent vos villes et repaissez-vous de mes biens, gorgez-vous de mes liqueurs! La vie est un plaisir, et la sexualité n’est qu’un jeu innocent! Ne pensez plus à vos soucis, on s’occupe de tout! La propriété est un droit inviolable et sacré! Vivez à fond votre égoïsme, tout seul, en couple, en famille ou en groupe, nos techniciens mettent au point un système social parfait qui vous évitera toute gêne venant d’autrui et vous permettra le maximum de jouissance! Vous n’avez pas à rechercher le bonheur des autres, faites tout ce que vous voulez pourvu que ça ne les gêne pas! Plus besoin d’ efforts, nous savons maintenant comment harmoniser tous les vices de chacun pour faire la tranquillité de tous! Bientôt la civilisation des loisirs installera l’âge d’ or rêvé par l’homme depuis qu’il n’est plus un singe!»
Dans le désert des églises désertes une voix résonne encore: «Chrétiens ne rêvons plus, soyons tout à nos tâches présentes! Il faut repenser l’Église et la mission! Il faut faire des assemblées, bâtir et rebâtir l’Église! Encore et toujours reconstruisons la liturgie, planifions l’évangélisation, mettons le peuple de Dieu en coupe réglée et apprenons-lui enfin à être fidèle à l’Évangile (ça fait 20 siècles qu’il nous attend)! Oublions toute politesse, méprisons toute culture, négligeons les traditions, inventons le fil à couper le beurre: nous travaillons pour Dieu, et ça suffit à nous donner des ailes! Animez, ranimez, faites quelque chose enfin! Bougez-vous, travaillez, travaillez pour Dieu!» La même voix de l’activisme crie parfois en sens inverse: «Réagissez! On vous a changé la religion! Hier était beaucoup mieux qu’aujourd’hui!» Dans un sens ou dans l’autre, elle délaye l’enseignement de Jésus-Christ dans les vieilleries mondaines d’hier ou d’aujourd’hui?
Mon frère, ma sœur au cœur de cette église comble, dans le désert de ton cœur, une voix douce comme un silence te dit:
«Ne laisse pas le souci des tâches présentes entraver ta marche à ma rencontre! Tu n’as pas à travailler pour Dieu, tu as à faire les œuvres de Dieu. Or l’œuvre de Dieu c’est que tu croies en Moi!» Croyons-nous assez en Dieu, frères et sœurs, ce qui s’ appelle croire? Dans le désert de nos cœurs, cette voix nous invite: «Ne t’installe pas dans ce qui se voit, mise tout sur l’invisible, aime-moi et espère en moi! Mon jour viendra comme un voleur: seras-tu prêt? Convertis-toi, entre dans l’Église telle qu’elle est, car c’est mon Père qui t’invite à travers elle! C’est mon Épouse et c’est ta Mère: n’aie pas honte de ta Mère!»
Une voix: «Prépare les chemins du Seigneur, rends droits ses sentiers! La création est pour tous, et la propriété n’est pas un droit absolu; tu n’es qu’intendant de tes richesses, pour les distribuer aux pauvres! Je te demanderai compte de ce que tu auras fait pour les plus petits: dans ton pays les nécessiteux, les étrangers, les enfants à naître – troupe innombrable d’innocents sans visage et sans nom arrachés à nos rivages et qui nous dévisagent éberlués depuis l’autre côté des nuages, dans le monde les populations affamées par un système économique sans justice et sans paix et qui refuse d’écouter les appels prophétiques de mon Vicaire à l’effacement des dettes qui pèsent sur le destin de tant de nations.» Une voix, deux voix, trois voix au moins.
Avoir une vie spirituelle, frères et sœurs, ce sera toujours entendre des voix et en suivre une. Or elles sont nombreuses, ces jours-ci, les voix qui se résonnent au désert de notre cœur: soyons vigilants, captons la bonne fréquence! La première voix a bien des atours: souvent costumes sombres de technocrate ou de démagogue, ces temps-ci attifement de «Père Noël», dans quelques semaines à la télévision, elle va même se déguiser en «Jésus» de série B! Plus subtilement, elle se pare des oripeaux sophistiqués du prêt-à-penser contemporain: «tolérance», «démocratie», et même «droits de l’homme» sont déracinés de leur terreau chrétien et mis au service des trois concupiscences devenues les reines de notre monde occidental! La deuxième voix est moins pittoresque: elle parle une insignifiante langue de buis! La troisième seule est vêtue de la peau de chameau et du cuir grossier à quoi on reconnaît les prophètes! Grossiers, en effet, pour le discours à la mode, des mots comme «don de soi», «pénitence», «conversion» «vertu», «loi naturelle», «droit à la vie», «sens de Dieu», «évangélisation», «vérité» ou «amour» même, ces mots sans lesquels il est impossible d’annoncer l’Évangile de Jésus-Christ!
La première voix s’entend partout: vaste conspiration contre toute espèce de vie intérieure, nous la respirons avec l’air qui nous fait vivre! La deuxième voix ne s’entend guère. De temps en temps la première se fait un malin plaisir, pensez donc, à devenir son porte-voix! La troisième voix est brouillée par la première et quelquefois trahie par la deuxième. Elle est souvent muette et a choisi de se taire parce qu’Elle nous a déjà tout dit aux jours de sa chair. Mais il suffit d’ouvrir les oreilles de son cœur pour l’entendre, voix du créateur dans le spectacle de la nature (mais combien d’entre nous prennent encore du temps pour la contempler?). Voix du rédempteur dans les relations avec nos frères humains, surtout les plus difficiles et les plus pauvres (mais qui, parmi nous, peut dire qu’il a vraiment tout pardonné à tous ceux qui l’ont offensé? Et lequel d’entre nous peut dire qu’il est déjà allé au bout des inspirations charitables reçues de l’Esprit Saint?). Voix de Dieu, vraiment entendue dans l’Église et dans les Écritures, et célébrée dans les sacrements!
Frères et sœurs, vivre, depuis que Dieu a parlé à nos pères dans le désert, ce sera toujours «écouter Sa voix», ne serait-ce que dans la voix de notre conscience. En ce dernier Avent du millénaire, en cette veille du Grand Jubilé, voici le Seigneur Dieu qui vient avec puissance. Si nous revenons au Seigneur notre Dieu, si nous écoutons sa voix en tout ce qu’il nous ordonne, Il aura pitié de nous, Il circoncira notre cœur que nous aimions le Seigneur notre Dieu de tout notre cœur et de toute notre âme, afin que nous soyons des vivants!
