Homélie du 27 octobre 1996 - 30e DO

Deux ou trois choses

par

fr. Élie-Pascal Épinoux

 » Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme et de tout ton esprit…

Tu aimeras ton prochain comme toi-même « 

Tu aimeras et tu aimeras: à ces deux commandements se rattache toute la Loi ainsi que les prophètes.

Tu aimeras: mais que sais-je moi de l’amour?

Que sais-je moi de l’amour sinon deux ou trois choses qui me font battre le cœur?

ma mère, mon premier pays et mon premier paysage, la terre qui me porte et me nourrit;

mon père, mon premier au-delà fascinant comme le ciel avec ses lumières et ses orages;

ma mère et mon père avec leur communion et leurs discordes, leur présence et leurs absences

qui me façonnent en profondeur et me font aujourd’hui fragile et fort, ouvert et fermé;

et puis des violettes sur un escalier, un lièvre au coin d’un pré, des repas du dimanche

mille et une choses qui m’ont appris les couleurs, les odeurs, le goût de la vie.

Que sais-je moi de l’amour sinon deux ou trois choses qui me font saigner le cœur?

ce désir qui s’est emparé de moi un soir de juin avec ses violences et ses terreurs, le dit et le non dit;

cette quête de l’autre, sa présence et son regard, sa tendresse et son corps, accepté, refusé;

cette volonté de tout donner et de tout recevoir et la découverte des limites et des manques

– les siens et ceux de l’autre – histoires réussies, histoires manquées;

et puis des copains et copines de fac ou d’Égypte, des gens croisés au hasard ou des frères en robe blanche

mille et un visages qui m’ont appris les rires et les larmes de l’amitié et de la fraternité.

Que sais-je moi de l’amour sinon deux ou trois choses qui me font briller le cœur?

ce jour où Dieu m’a révélé sa présence et celui où je me suis donné à Lui

– même s’il est difficile de demeurer jour après jour dans la communion de la prière incessante –

ces jours où j’ai pu accueillir et écouter, aider et consoler ceux qui sont venus à ma porte

– même si les situations sont lourdes que le temps manque et que j’ai envie de dire assez –

ces jours où la solitude se révèle douce et lumineuse, pure et fruitée comme un petit matin d’automne

– même s’il y a encore des nuits d’angoisses à traverser –

mille et un instants qui vous font comprendre votre petitesse et deviner que l’essentiel est invisible pour les yeux.

Oui que sais-je moi de l’amour sinon deux ou trois choses qui habitent mon cœur?

la première: que j’ai le désir d’aimer

la seconde: que seul je ne sais pas aimer

la troisième: qu’un autre peut m’apprendre à aimer.

Mais quel est-il cet autre qui rendra mon désir juste et vrai?

cet autre qui me délivrera de mon égoïsme farouche?

cet autre qui m’apprendra à aimer en me laissant aimer?

Qui sinon toi Seigneur Jésus, mais que sais-je moi de toi?

Que sais-je moi de toi Seigneur Jésus: au moins deux ou trois choses qui me font battre le cœur

ta mère toute de silence et d’accueil qui a su dans la foi te porter et te donner, te laisser grandir et t’offrir jusqu’à l’indicible de la Croix;

ton père qui est aux cieux si mystérieux et si proche que tu passes toute la nuit à le prier jusqu’à en partager la lumière à tes apôtres;

ton père et ta mère qui t’ont engendré toi Dieu et homme, resplendissement de la gloire et parfaite image de Dieu en notre chair qui me dit qui je suis.

Que sais-je moi de toi Seigneur Jésus: au moins deux ou trois choses qui me font saigner le cœur

Madeleine à tes pieds avec mes passions et mes errances, mes larmes et mes soupirs

 » A cause de cela je te le dis, ses nombreux péchés lui sont remis parce qu’elle a montré beaucoup d’amour  » (Lc 7,47)

Jean sur ton cœur avec mon désir de communion et d’unité avec tous et avec toi

 » Je leur ai donné la gloire que tu m’as donnée, pour qu’ils soient un comme nous sommes un:

moi en eux et toi en moi, afin qu’ils soient parfaits dans l’unité «  (Jn 17,22-23)

Judas sur ta bouche avec mes révoltes et mes trahisons quand je reprends ma vie à mon compte
 » Judas c’est par un baiser que tu livres le Fils de l’Homme? «  (Lc 22,48)

et puis toute cette foule d’hommes et de femmes tous plus perdus les uns que les autres, cananéenne ou samaritaine, publicains ou lépreux, que tu rends à eux-mêmes et aux autres parce qu’un jour, éperdument, ils se sont remis à Toi.

Que sais-je moi de toi Seigneur Jésus: au moins deux ou trois choses qui me font briller le cœur

cette communion avec Ton Père, toute de lumière au Thabor, toute de ténèbres à Gethsémani
mais où toujours tu es le Fils qui dit  » Père  » et s’en remet totalement à Lui;

cette communion avec nous  » Agneau de Dieu qui enlève le péché du monde «  (Jn 1,29)

qui jamais ne rejette mais toujours appelle, qui jamais ne condamne mais toujours pardonne;

cette communion avec Ton Père et nous:

si forte que par ta croix tu as détruit le mur de séparation du péché
si forte que par ta mort la mort est morte!

Oui que sais-je moi de Toi Seigneur Jésus: au moins deux ou trois choses qui habitent mon cœur

la première: que mon désir d’aimer ne s’accomplira que dans l’amour qui vous unit le Père et Toi

 » Comme le Père m’a aimé moi aussi je vous ai aimés: demeurez en mon amour «  (Jn 15,9)

 » A ceci nous reconnaissons que nous demeurons en Lui et Lui en nous: Il nous a donné Son Esprit «  (1 Jn 4,13)

la seconde: qu’en dehors de la charité fraternelle je ne peux que me tromper et me perdre

 » Dieu personne ne l’a jamais contemplé. Si nous nous aimons les uns les autres, Dieu demeure en nous, en nous son amour est accompli «  (1 Jn 4,12)

 » Nous savons, nous, que nous sommes passés de la mort à la vie parce que nous aimons nos frères «  (1 Jn 3,14)

la troisième: que seul le Premier-Né de l’humanité nouvelle, Jésus ressuscité des morts peut me révéler ce qui est l’Amour et me conduire à sa plénitude

 » Si vous gardez mes commandements, vous demeurerez en mon amour

comme moi j’ai gardé les commandements de mon Père et je demeure en son amour…

Voici quel est mon commandement: vous aimer les uns les autres comme je vous ai aimés

Nul n’a de plus grand amour que celui-ci: donner sa vie pour ses amis.  » (Jn 15,10-13).

Seigneur Jésus, Fils du Dieu Sauveur, prends pitié de moi pécheur

fais-moi la grâce de ton Esprit Saint:

qu’il délivre mon cœur de tout refus et de toute fermeture à l’autre

qu’il ouvre mes yeux pour contempler l’Amour en toi et toi en mes frères

alors avec Moïse, j’entrerai dans la Nuée et je parlerai avec Toi face à face

alors avec Élie, je serai rempli  » de la voix du silence ténu  » et je consacrerai des rois et des prophètes

alors avec Toi et tous les saints  » Je serai l’Amour « .