Joie ! Frères et sœurs ! Dieu a visité son peuple, Dieu a sauvé son peuple !
Joie à tous, joie de l’Église, car c’est elle qui, accueillant son Seigneur, accueille son salut et rejaillit d’allégresse ! Oui, Dieu a visité son peuple, nous l’avons vu et par sa visite il a permis que se réalise la promesse faite à Abraham. Sarah aura un fils. Dieu a visité son peuple parce que Dieu est Amour et « il a tellement aimé le monde qu’il a envoyé en visite parmi nous son propre fils, son fils bien-aimé, non pour condamner le monde mais pour que le monde soit sauvé » (Jn 3, 16).
Et quand Jésus est accueilli dans la famille de Béthanie, alors, transformation ! Magnifique ! Marie de Béthanie devient disciple du Seigneur, assise à ses pieds, écoutant sa Parole pour devenir le témoin du Christ.
Joie de toutes les joies pour nous puisque, aujourd’hui, Dieu vient nous visiter. Sa visite est actuelle. Il nous a visités par les prophètes. Il nous a sauvés par son fils bien-aimé et il nous visite par son Esprit Saint, non seulement aujourd’hui, mais toutes les fois où nous voulons, où nous acceptons d’accueillir sa visite. Car la grande question n’est pas du côté de Dieu, nous en sommes certains : il nous visite. Mieux, il est le Dieu qui aime visiter, et rêvons sérieusement un petit peu : Dieu n’a-t-il pas créé l’univers pour pouvoir le visiter ? Dieu n’a-t-il pas créé l’humanité pour que nous puissions l’accueillir comme Abraham ?
Dieu a visité Abraham, sous les chênes de Membré, hospitalité magnifique d’Abraham qui a accueilli Dieu en accueillant l’étranger ! (He 13, 2) ! Car, dans le désert, nous le savons un petit peu avec la canicule, l’hospitalité c’est une question de vie et de mort. Si le visiteur n’est pas accueilli, il meurt dans le désert. Or Abraham se multiplie, avec Sarah qui dans la tente pétrit la pâte et fabrique le pain : Abraham et Sarah ont accueilli. Mais qui ont-ils accueilli ? Nous ne savons pas son nom : un visiteur étrange, un visiteur mystérieux. C’est un texte que nous avons bien du mal à traduire parce que ce texte ne respecte pas les règles de la grammaire. Le sujet est parfois au singulier, le verbe au pluriel. Le verbe est parfois au singulier, le sujet au pluriel. Un est trois. Trois est un. Visite mystérieuse. Et c’est ce mystère même qu’Abraham et Sarah ont accueilli sous les tentes et les chênes de Membré.
Pour nous qui savons, par l’Église, que nous ne pouvons pas représenter Dieu autrement que par le visage de Jésus, le Verbe fait chair. L’Orient chrétien a gardé pure la tradition des Pères. D’où l’étonnant succès des représentations actuelles de ce qu’on appelle la « Trinité de Roublev » qui n’est autre que l’icône de l’hospitalité d’Abraham. Car Dieu le Père est inconnaissable sinon par le visage du Fils et l’Esprit est représenté par les signes qu’il a pris pour se manifester, une colombe, des langues de feu, etc.
Donc pour nourrir notre foi, il est important pour nous de savoir qu’en accueillant un étranger, un visiteur dans le désert, Abraham a accueilli la préfiguration de la Sainte Trinité. Et quand on accueille Dieu comme Abraham et Sarah, la conséquence de cet accueil, c’est la vie. Sarah aura un fils, le fils de la Promesse. Non seulement le fils d’Abraham et de Sarah en sa vieillesse, mais le fils de la promesse qui se réalise par la visite de Dieu sous les chênes de Membré.
Béthanie ! Ce village d’accueil où Jésus a tant aimé se reposer, faire la descente, venir, avant de monter vers la Jérusalem toute proche, mais la Jérusalem aussi où il sera maltraité, mis à mort, crucifié et le troisième jour ressuscitera. Jésus est accueilli dans cette famille, Lazare, Marthe et Marie. L’évangile de saint Jean manifeste combien Jésus aime cet accueil réitéré. Chez saint Luc, nous avons une unique visite de Jésus à la conclusion du chapitre sur l’envoi des disciples. À Béthanie, Jésus est accueilli comme homme avec les casseroles de Marthe. Il est accueilli comme Dieu par Marie qui se tient à ses pieds et qui écoute sa Parole. L’évangile de Luc est aussi l’évangile où revient comme un leitmotiv que Dieu vient visiter son peuple. Dès le chapitre 8, nous apprenons qu’un groupe de femmes accompagne Jésus dans sa mission en Galilée. Puis surgit des cimetières de la rive païenne du lac, le portrait étrange et improbable du disciple : un forcené qui vit nu dans les tombes, casse toutes les chaînes qu’on lui met pour le maîtriser. Jésus expulse une légion d’esprits impurs envoyés dans un troupeau de cochons qui se noient dans le lac. Quand la foule vient voir et trouve « l’homme dont étaient sortis les démons, assis, vêtu et dans son bon sens, aux pieds de Jésus » (Lc 8, 35). Le trait distinctif du disciple est fortement campé : être assis aux pieds de Jésus le maître de sagesse. Jésus est ainsi accueilli à Béthanie comme maître de sagesse par Marie qui devient disciple du Seigneur. Immense bouleversement : une femme est acceptée comme disciple. Alors que Marthe ne voit la place des femmes qu’aux casseroles, selon la tradition et les coutumes d’Israël et de l’Antiquité. Les femmes ne sont pas vouées aux casseroles, elles peuvent être disciples, quelle libération étonnante de Jésus ! Jésus s’adresse au cœur, il ne s’adresse pas à l’apparence. Et tous nous savons qu’aujourd’hui il propose dans son Église le baptême aux hommes et aux femmes, aux vieux et aux jeunes. C’est un Dieu qui accueille par le cœur et nous transforme en disciple par le cœur. Ainsi, en s’asseyant aux pieds de Jésus, Marie se trouve élevée à la grâce d’être disciple pour annoncer le Christ au monde.
Il est vrai que la place des femmes est toujours une question. Elles sont à part, dans une place secondaire comme au balcon dans le Temple de Jérusalem ou dans la synagogue de Nazareth. Regardons l’Évangile. N’est-ce pas à une femme cananéenne que nous devons la première guérison d’une jeune fille païenne ? N’est-ce pas à la Samaritaine que nous devons le secret universel de Dieu, que nous pouvons adorer en esprit et en vérité ? Et n’est-ce pas à Marie de Magdala que Jésus a confié l’annonce de sa résurrection aux apôtres ? Marie de Magdala que nous allons célébrer vendredi prochain (22 juillet), fête de sainte Marie Madeleine. La foi chrétienne est proposée à toute l’humanité sans exclusive. Car la création est l’œuvre du Dieu unique et trois fois saint. Mais Jésus n’abolit pas les différences. Au contraire, il les prend au sérieux. Il fait de nos différences l’occasion d’une rencontre, d’une collaboration, d’une relation vraie, où chacun est à sa place. Et ainsi fait-il de Marie la disciple assise aux pieds de Jésus pour écouter sa Parole. Par l’Esprit Saint, chacun est ensuite appelé à une vocation particulière et personnelle en vue du bien de tous. Car tous sont appelés à la sainteté.
Nous le voyons, quand la Trinité, quand Dieu Amour est accueilli dans nos vies, il nous transforme et c’est bien là le problème. Bien souvent, nous refusons la visite de Dieu parce que nous savons que si nous jouons le jeu de l’accueil, nous risquons cette rencontre et nous en serons transformés. Peut-être même transformés en quelque chose que nous n’acceptons pas vraiment. Or il est si difficile de sortir de nos zones de confort que nous finissons par passer à côté de la visite de Dieu dans nos vies. Aussi la pastorale du baptême doit s’accentuer et se prolonger de façon décisive par une forte invitation de l’Église afin que chaque baptisé puisse vivre cette visite de Dieu dans sa vie, une rencontre réelle et personnelle avec le Christ.
Mais regardons sans nous cacher ce qu’est une transformation personnelle ou sociale dans nos sociétés modernes ou hyper modernes : la technique prime sur la vie. Nous avons accueilli le téléphone portable qui, en quelques années à peine, a transformé nos vies quotidiennes. Savons-nous accueillir la visite de Dieu qui nous transforme de fond en comble en disciple du Christ, écoutant sa parole et en lavant les pieds de nos frères ?
Réfléchissons. Si nous accueillons Dieu, son code, sa Parole, ses applications, son envoi en mission, le commandement d’aimer nos frères, d’aimer Dieu, le commandement de nous aimer les uns les autres, de nous laver les pieds les uns les autres… si nous savions toutes ces applications de l’évangile à qui nous accordons rarement le temps superflu alors que nous passons des heures avec les applications de notre téléphone portable !
Réfléchissons bien. Notre vie chrétienne est une vie de joie et d’espérance, comme l’a dit saint Paul dans la seconde lecture : le Christ est notre espérance aujourd’hui de la gloire qui vient.
Si nous pouvions annoncer l’espérance à un monde pour qui l’avenir est devenu une menace ! Car mettre toute l’espérance du monde dans un objet technique — du téléphone à la bombe atomique — est une grave illusion qui se retourne contre nous.
Si nous acceptions vraiment que notre cœur soit vivant au lieu de se traîner sous les chaleurs du monde à répéter sans cesse les mêmes choses, finalement inutiles dans le buzz des réseaux sociaux avec des amis que nous ne verrons jamais !
Si nous savions, si nous voulions, si nous demandions, si nous priions pour être transformés par la visite de Dieu !
Combien notre vie fraternelle serait belle !
Combien l’annonce de l’espérance serait l’aujourd’hui de notre monde !