« Le Seigneur a fait des merveilles […]. Il a fait connaître sa victoire et révélé sa justice aux nations ; il s’est rappelé sa fidélité, son amour, en faveur de la maison d’Israël. La terre tout entière a vu la victoire de notre Dieu. » Qui aurait envisagé, nonobstant les annonces d’Isaïe notamment, déjà claires, que le relèvement promis à Israël selon l’Alliance serait ouvert à tous les peuples ? Pierre, et bien d’autres avec lui, le découvrent et le comprennent alors que Dieu manifeste sa surabondance de grâce par l’effusion de son Esprit, non seulement vers les nations, mais sur elles, et en tout homme qui recherche et pratique la justice de Dieu et veut ainsi s’accorder et s’établir dans sa volonté. Qui aurait imaginé s’entendre appeler « ami » par le Dieu de l’univers, et être traité comme tel ? Les disciples reçoivent, au soir de la Cène, après le lavement des pieds et la révélation du Corps et du Sang du Christ partagés, cette annonce merveilleuse, à laquelle leur familiarité et leur affection pour Jésus ne les rendent pas étrangers, mais qui ne réalisent sans doute pas encore tout ce qu’elle signifie. Qui aurait réalisé, avant que l’amour de Dieu en Jésus Christ se révèle sur la Croix, et même après tant de signes et prodiges de guérison, la munificence du pain abondamment multiplié, que cet amour soit grand au point de consentir à un tel abaissement pour le salut du monde ?
Qui pouvait alors connaître Dieu en vérité tel que le Christ nous le révèle, et que le résume saint Jean dans sa première épître : « Dieu est Amour » ? Dieu Créateur, Dieu Sagesse, Dieu Vie, le Dieu Un et Trine, vrai et saint, dans sa perfection, l’unité de son essence et de sa substance, le pur Acte, en étant tout cela, est Amour. Amour en lui et Amour pour nous. Donc, comme Dieu, cet Amour est premier. En ce qu’avant tout commencement du monde, Dieu aime, et déjà nous aime. Également en ce que tout amour véritable des créatures raisonnables dans le monde de la terre et du ciel vient de Dieu Amour, fait cheminer avec lui et mène à lui. Comme Dieu, cet Amour est également fécond et surabondant : c’est de cet Amour que tout vient et tout va à son terme selon le dessein de Dieu et les voies de sa Sagesse, y compris par les passages étroits et les lieux de ténèbres sans amour.
Le Christ vient, lui, montrer et établir l’Amour. Le premier enseignement qu’il nous donne aujourd’hui est que, dans le don de sa vie, dans l’obéissance et pour l’amour du Père, il ne fait pas que servir parfaitement le dessein de salut de Dieu, mais il le révèle parfaitement, de sorte même que toute la Révélation amène à connaître et reconnaître Dieu Amour, qui aime et comme il aime. Dieu n’est pas « seulement » un Dieu aimant, mais il est Amour et, en tout ce que nous contemplons et recevons de lui, en tout notre désir et notre recherche de lui, est son Amour. Le second enseignement sur le mystère même de Dieu est peut-être plus extraordinaire encore. Alors que le Christ vient de manifester les signes de sa charité dans les gestes du Jeudi saint, qu’il va parfaire l’offrande de lui-même et être ainsi exalté dès la Croix, pour le quatrième Évangile, il nous révèle que, par l’amour qu’il nous donne et que nous nous donnons, il nous établit en Dieu. En cet Amour, nous vivons par Dieu et de Dieu, mais nous sommes invités et disposés à vivre en Dieu. Tout d’abord en accordant notre volonté à sa volonté qui est Amour du Père : c’est ce qu’il demande en proclamant que ceux qui gardent ses commandements demeurent en son amour. Cela, il nous l’ouvre en tant qu’amis, en proposant comme un paradoxe : celui qui fait ce qu’il commande est son ami, et non son serviteur, au contraire des relations humaines, mais parce que l’ami est ici celui qui connaît ce que le Christ a révélé du Père, pour que l’amour dont il nous aime et nous l’aimons « bannisse toute crainte » dès lors que nous aimons notre vrai et suprême bien. Ensuite en nous aimant les uns les autres en son Nom : la fécondité de cet amour de Dieu, qui veut nous garder en lui, est de répandre cet amour les uns vers les autres. Ainsi, et enfin, vivre en Dieu Amour, en qui nous sommes véritablement nés, nous destine à porter un fruit qui demeure : en nous, dont la vie est saisie et transformée et ne peut être ni réduite à son horizon humain, ni la même qu’avant la Révélation en Jésus Christ et le don de l’Esprit Saint ; dans le monde, pour qu’il connaisse l’amour de Dieu et s’en réjouisse.
Le Christ Ressuscité va quitter ce monde en remontant vers le Père, et il nous a promis son Esprit. Il est avec nous tous les jours jusqu’à la fin des temps, et nous ouvre une vie déjà féconde en grâce, dans l’espérance du bonheur éternel. Dès à présent, il nous laisse sa joie, qui peut être parfaite puisque nous connaissons et possédons son amour, qui est notre vie. Cette « bonne chose », elle, « n’a pas de fin ».