Homélie du 30 octobre 2022 - 31e Dimanche du T. O.

Être Zachée

par

fr. Emmanuel Perrier

Qui a envie d’être Zachée ? Être Zachée vous paraît-il une position enviable, un symbole de réussite, un étalon d’humanité ? Avez-vous déjà entendu quelqu’un soupirer : « Ah ! Si au moins j’étais Zachée » ? Ou des parents avertir leur enfant : « Mon fils, ma fille, si tu n’es pas Zachée avant 40 ans, tu auras raté ta vie » ? Non, personne n’aspire à être Zachée, et c’est un tort.

Zachée est un résumé de ce que Dieu fait en nous, un modèle d’accomplissement humain. Le Seigneur l’évoque lorsqu’il dit que Zachée est devenu « un fils d’Abraham ». On devient en effet fils d’Abraham en entrant dans la foi d’Abraham et en étant rempli de l’espérance d’Abraham. Et quelle est cette espérance ? Saint Paul y insistera, un fils d’Abraham est assuré d’être « héritier de Dieu et cohéritier du Christ » (Rm 8, 17). Zachée nous montre comment on devient héritier de Dieu et cohéritier du Christ. Mais pour le comprendre, il faut dépasser les apparences.

À s’en tenir aux apparences, l’histoire de Zachée est une jolie histoire, mais qui ne dépasse pas le niveau d’un sujet pour la télévision ou la presse à sensation. À s’en tenir aux apparences, Zachée n’a rien d’un symbole d’accomplissement humain. Il était méprisable avant, il ne fait que redevenir fréquentable après. On voit un homme dont la richesse s’est bâtie en ponctionnant les revenus des autres, y compris par des manœuvres injustes et malhonnêtes, qui est emporté par la curiosité de voir Jésus en train de traverser Jéricho, qui monte sur un arbre, et qui attire l’attention du Christ. Le Christ s’invite alors chez lui et il se convertit, d’injuste devenant juste, de rapace devenant généreux. Voilà pour les apparences.

Mais prêtons un instant attention à l’explication que Jésus donne en conclusion : « Aujourd’hui, le salut est arrivé pour cette maison, car le Fils de l’homme est venu chercher et sauver ce qui était perdu. » Jésus ne parle pas de ce que Zachée a fait. Pour Jésus, dans ce qui vient de se passer l’important est ce que lui a fait, lui qui est fils de l’Homme et Fils de Dieu : je suis venu chercher et sauver ce qui était perdu. Cette phrase n’est pas anodine, elle résume sa mission sur terre. Le Fils de Dieu s’est incarné dans le sein de la Vierge Marie pour venir chercher et sauver ce qui était perdu. Par conséquent, il ne faut pas lire l’histoire de Zachée comme l’histoire d’un homme venant à la rencontre du Fils de Dieu mais bien plutôt comme l’histoire du Fils de Dieu accomplissant sa mission dans l’homme.

Quand on a compris cela, l’évangile s’éclaire. Observons quelques détails. En fait, Zachée ne sait pas trop pourquoi il s’est retrouvé perché sur un sycomore. Il a eu envie de voir Jésus comme tant d’autres habitants de Jéricho. Mais il se retrouve derrière à ne rien voir parce qu’il est trop petit. Alors, à la manière des curieux voulant assister au passage du Tour de France, il se hisse au-dessus de la foule grâce au premier arbre venu. Pour Zachée tout cela est arrivé par une succession de désirs et de contrariétés, sans plan élaboré d’avance. Mais pas pour Dieu. Pour Dieu, tout cela était prévu. C’est Dieu qui a mis la curiosité dans le cœur de Zachée. C’est Dieu qui a avivé ce désir par la contrariété. Au moment où Zachée se retrouve derrière la foule, c’est comme si Dieu lui disait intérieurement : « Tu veux me voir, mais jusqu’où as-tu le désir de me voir ? Iras-tu jusqu’à grimper dans ce sycomore ? » Et c’est parce que Zachée a désiré voir le Christ jusqu’à ce point, que Dieu fait chair, le Fils de Dieu, s’avance dans cette rue, décide de s’arrêter au niveau de Zachée et veut lever les yeux vers lui. Il l’appelle alors par son nom : « Zachée », non pas parce que le Fils de Dieu aurait deviné son nom, mais parce qu’il connaît son nom de toute éternité et avait, de toute éternité, établi qu’il l’appellerait par son nom en ce moment et en ce lieu précis. Et pourquoi voulait-il l’appeler ? Il l’invite à descendre pour demeurer chez lui. Enfin, c’est Dieu qui convertit son cœur et qui donne à Zachée de changer radicalement le cours de sa vie.

Ce que vient de vivre Zachée est donc décisif. Dieu l’a choisi, l’a appelé, l’a élu et l’a justifié. Au milieu de cette foule dans la rue de Jéricho, il est celui que le Fils de Dieu venait rencontrer et convertir, pour servir d’exemple à tous les autres que Dieu appelle. Grâce à Zachée, nous comprenons un peu mieux ce que Dieu fait avec nous. Et je voudrais insister sur la nouveauté de cette élection pour Zachée. Le Livre de la Sagesse nous a présenté la situation de l’homme pécheur qu’était Zachée avant sa rencontre avec le Christ. Dieu jusqu’alors prenait patience. Qui était Zachée face à Dieu ? Salomon répond qu’il était « comme une poussière sur la balance, comme une goutte de rosée perdue sur terre ». Et pourtant, poursuit Salomon, Dieu prenait l’homme en pitié, Il le maintenait en vie malgré toutes ses combines et ses malversations, et sa dureté de cœur, et ses injustices contre les plus faibles. Durant toute la vie de péché de Zachée, Dieu prenait patience pendant que Zachée vivait sans penser à Dieu. Régulièrement, Dieu le reprenait, lui envoyait un signe, une expérience marquante, une épreuve, pour que Zachée se reprenne et se détourne du mal. Mais Zachée n’en avait cure, il continuait de plus belle. Zachée était comme notre société qui s’est détournée de Dieu, qui rejette la loi naturelle, qui se moque des commandements divins, qui s’étourdit dans le divertissement, qui laisse prospérer la violence, qui arme des guerres, qui ne veut entendre aucun des appels à la conversion, qui ne veut pas voir les signes du malheur vers lequel elle se précipite. Celui qui s’est détourné de Dieu ne voit pas que Dieu prend patience avec lui. Il prend cette patience pour une preuve de faiblesse, voire pour une preuve que Dieu n’existe pas, malgré tous les signes que Dieu lui envoie pour l’inviter au repentir.

Combien ce Zachée-là, ce Zachée sourd aux appels de Dieu, est différent du nouveau Zachée que le Christ a appelé et justifié. Le voici qui distribue aux pauvres la moitié de ses biens, qui rembourse au quadruple ceux qu’il a volés. Quand Dieu convertit le cœur de l’homme, c’est vraiment un autre homme qui apparaît. Comment cela s’est-il produit dans le cœur de Zachée ? Nous ne le saurons pas, c’est un secret entre Dieu et lui. Mais Zachée nous a laissé le témoignage du chemin que Dieu a emprunté en lui, faisant naître en lui un désir de voir le Christ, l’éprouvant pour l’aviver, puis lui donnant ce qu’il cherchait si intensément en venant demeurer chez lui. Lorsque Jésus entre dans la maison de Zachée, c’est vraiment Dieu qui vient demeurer dans son cœur, et qui produit en lui des fruits de repentir et de réparation. Dans le cœur de Zachée le Seigneur Jésus-Christ est venu demeurer, et l’Esprit Saint lui aussi est entré pour produire ses fruits.

Alors, qui n’a pas envie d’être Zachée ? À la vérité, pour nous baptisés, nous sommes Zachée depuis notre baptême, puisque l’Esprit Saint habite en nous à demeure, sauf à commettre un péché mortel. Pour nous, être Zachée, c’est devenu un programme de vie. Et un programme que Dieu accomplit progressivement, en nous visitant d’une manière nouvelle très régulièrement, par exemple lorsque nous recevons le corps du Christ dans l’eucharistie. Nous pouvons donc prier Dieu qu’il ne cesse de nous renouveler comme Zachée. Mais cette prière déborde vers tous ceux que nous connaissons et qui vivent comme si Dieu n’existait pas. Il ne faut pas cesser de supplier Dieu de susciter en eux le désir de Zachée. Et que Dieu les appelle. Et que Dieu vienne demeurer chez eux. Et que Dieu les justifie.

Seigneur, ne perd pas patience avec les hommes. Tu es venu sauver ce qui était perdu, renouvelle l’expérience de Zachée dans ceux qui t’accueillent.

Lectures : Sg 11,22-12,2 et Lc 19,1–10