« Je suis venu apporter un feu sur la terre, et comme je voudrais qu’il soit déjà allumé ! Je dois recevoir un baptême, et quelle angoisse est la mienne jusqu’à ce qu’il soit accompli ! Pensez-vous que je sois venu mettre la paix sur la terre ? Non, je vous le dis, mais bien plutôt la division. »
Feu, baptême et division : quelles paroles mystérieuses, frères et sœurs ! Difficile pour le fidèle de les comprendre, difficile aussi pour le prédicateur de les expliquer. Alors nous prendrons deux guides pour comprendre cet évangile. Deux frères, deux apôtres : Jacques et Jean.
D’abord le feu. Le feu que précisément Jacques et Jean voulaient faire descendre du ciel pour détruire un village qui ne les avait pas reçus (voir Lc 9, 54). Et je les comprends ! Il y a tellement de mal dans le monde, autour de nous, qu’on a bien envie qu’il soit détruit. Tout de suite. En plus Élie lui-même a fait une telle chose ! Et Jésus maintenant semble adopter une telle attitude ! Seulement Élie a fait descendre le feu à deux reprises : une fois pour détruire ses adversaires (2 Rois 1, 10 s.), une fois pour consommer le sacrifice (1 Rois 18, 38). Et c’est cette deuxième façon que Jésus veut imiter. Il jette le feu sur terre pour la consacrer à son Père. Il offre en sacrifice parfait d’abord lui-même, puis le monde entier. Le feu de l’Esprit-Saint descend sur nous comme au moment de Pentecôte pour nous consacrer à Dieu. Dieu veut embraser le monde, non par colère mais par amour. C’est par amour que nous combattons le mal, c’est par amour que nous devenons, comme Jésus, une offrande agréable à Dieu.
Cela nous amène au deuxième point, le baptême : « Je dois être baptisé d’un baptême, et quelle n’est pas mon angoisse jusqu’à ce qu’il soit consommé ! »
Pour nous le baptême est quelque chose de profondément joyeux et c’est vrai, pourtant Jésus l’envisage avec l’angoisse. Pourquoi ? Que nous en disent-ils Jacques avec Jean ? C’est à eux que Jésus a déclaré : « La coupe que je vais boire, vous la boirez, et le baptême dont je vais être baptisé, vous en serez baptisés » (Mc 10, 39).
Et saint Jacques peut très bien nous expliquer ce que veut dire « être baptisé avec le Christ », lui qui parmi les apôtres a été le premier à donner sa vie à la suite du Christ !
Saint Paul nous le rappelle aussi avec force : « Ou bien ignorez-vous que, baptisés dans le Christ Jésus, c’est dans sa mort que tous nous avons été baptisés ? (Rm 6, 3)
Et il poursuit : « Nous avons donc été ensevelis avec lui par le baptême dans la mort, afin que, comme le Christ est ressuscité des morts par la gloire du Père, nous vivions nous aussi dans une vie nouvelle. Car si c’est un même être avec le Christ que nous sommes devenus par une mort semblable à la sienne, nous le serons aussi par une résurrection semblable… Mais si nous sommes morts avec le Christ, nous croyons que nous vivons aussi avec lui » (Rm 6, 4-8).
Nous sommes baptisés pour ressusciter des morts. Mais pour ressusciter des morts, encore faut-il être mort, car on ne peut ressusciter un vivant ! Nous, les baptisés, nous sommes tous des hommes morts appelés à la vie.
Enfin la… division. Comment Jésus peut-il dire qu’il est venu pour établir la division ? Là encore Jacques et Jean vont nous aider à comprendre. Ils ont causé la division au sein du groupe des Douze. Pourtant, c’était pour une bonne chose : ils voulaient être les plus proches possible de Jésus — un à sa droite et l’autre à sa gauche… (Mc 10, 37) ; et nous savons que les dix autres ne l’ont pas particulièrement apprécié. Il s’en est donc suivi une division de deux contre dix.
Nous voyons ici comment, même au sein de l’Église, les divisions peuvent naître très facilement : et sans qu’il y ait forcément de mauvaise volonté ! Car, Jésus ne parle certainement pas des divisions qui viennent de notre péché et qui existent indépendamment de Lui. Il parle des divisions qui viennent du fait qu’on veut être un bon chrétien. Meilleur que les autres. Plus strict, plus observant, « plus papiste que le pape » si vous voulez.
Et de fait, aujourd’hui nous voyons hélas tant de divisions dans l’Église, sachons l’admettre ! Des divisions dans les paroisses, dans les diocèses, dans les communautés religieuses, divisions entre les évêques, divisions entre les cardinaux…
Oui, frères et sœurs, Jésus l’a dit ; il nous a prévenus…
Les divisions nous scandalisent, nous pèsent et nous attristent. En même temps ces divisions nous donnent l’occasion de progresser. Elles nous aident à mieux saisir combien nous avons tous besoin de ce feu que Jésus est venu jeter sur la terre. C’est l’Esprit-Saint qui fait l’unité de l’Église. C’est seulement lui qui peut nous aider à traverser et dépasser les divisions.
Mais pour cela il faut être baptisé avec le Christ, être mort avec lui, mourir non seulement au péché, mais aussi à nos aspirations et ambitions trop humaines.
Certes, nous ne pouvons pas résoudre toutes les divisions dans l’Église… mais nous pouvons commencer par celles qui nous sont les plus proches — celles dans nos familles. Car la division n’est pas fatale, l’exemple de Jacques et Jean le montre bien. Et si les frères peuvent se réconcilier, les autres le peuvent aussi. L’unité et la paix dans l’Église commencent dans nos maisons. Là où le père se réconcilie avec son fils, la fille avec sa mère, la belle-mère avec sa bru. Ce n’est que réconciliés que l’on peut offrir des sacrifices (voir Mt 5, 23).
Frères et sœurs, que le feu de l’Esprit-Saint enflamme nos cœurs et nous aide à traverser toutes nos divisions.