Homélie du 9 avril 2009 - Jeudi Saint

In Cena Domini

par

fr. Augustin Laffay

Ce soir, Frères et Sœurs, le Cœur de Dieu se met à nu.
Ce soir, la liturgie nous donne de voir l’Amour dont nous sommes aimés. Elle nous donne même de le toucher ou plutôt d’être touchés par lui. Ce soir, la charité de notre Dieu vient au secours de notre faiblesse en se faisant sensible.

«[Jésus, le Fils de Dieu,] qui avait aimé les siens qui sont dans le monde, les aima jusqu’à la fin.» (Jn 13, 1). Cela signifie deux choses. D’abord qu’il les aima jusqu’au bout de sa vie c’est-à-dire jusque dans ses dernières heures, jusque dans son dernier souffle; ensuite qu’il les aima jusqu’à l’extrême de l’amour c’est-à-dire d’une manière telle que jamais personne n’a aimé.
Mon frère, ma sœur, souviens t’en aujourd’hui: personne ne t’aime autant que le Seigneur t’aime; Il t’aime plus, infiniment plus que toi-même ne t’aimes!

L’institution de l’Eucharistie et le lavement des pieds, ces deux grands gestes du Christ rappelés par les lectures et rendus présents par la liturgie nous donnent ce soir la mesure de l’Amour de Dieu. Le jusqu’au boutisme de la Charité de notre Dieu permet de disqualifier toutes les fausses divinités qui peuplent le monde et prétendent aimer l’homme.

Les faux dieux, tous les faux dieux, mangent les hommes; notre Dieu, et Lui seul, se donne à manger aux siens.
Vous connaissez le mythe grec du dieu Cronos, le père des Titans: il dévore les enfants que lui donne la déesse Rhéa, fille de la Terre. C’est par ruse que Rhéa sauve l’un d’entre eux en donnant à Cronos une pierre au lieu de son fils, Zeus. Vous savez aussi ce que la Bible dit du Moloch, le dieu des Ammonites, à qui on sacrifie les premiers nés en les jetant dans un brasier. Il ne s’agit pas là de contes et légendes mais de l’expression littéraire d’une vérité très profonde. Tous les dieux que l’homme se donne, tous ceux qu’il façonne à son image à lui, l’humain, tous ces dieux finissent par le dévorer. Pharaon ordonnant de tuer les fils des Hébreux, Hérode provoquant le massacre des Saints Innocents, les révolutions et les systèmes totalitaires du 20e siècle engloutissant des peuples entiers sont des mangeurs d’hommes; les idéologies libertaires, les terrorismes de tous types que nous fabriquons actuellement nous dévoreront eux aussi.

Il n’y a vraiment que le Dieu qui sonde les reins et les cœurs, le Dieu qui nous aime jusqu’au bout, jusqu’à nos entrailles, qui puisse se donner à manger. «Je suis le pain vivant descendu du ciel. Qui mangera ce pain vivra à jamais. Et même, le pain que je donnerai, c’est ma chair pour la vie du monde.» (Jn 6, 51). «En vérité, en vérité je vous le dis, si vous ne mangez la chair du Fils de l’homme et ne buvez son sang, vous n’aurez pas la vie en vous. Qui mange ma chair et boit mon sang a la vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour.» (Jn 6, 54). «Cela vous scandalise?» (Jn 6, 61). L’alternative évangélique est pourtant bien de mourir dévoré par les faux dieux ou alors de manger et de boire le corps et le sang du seul vrai Dieu.

Faire ce que dit le Seigneur, c’est le moyen de vivre en communion avec Lui. La communion qui se produit entre la nourriture que nous mangeons et nous-mêmes est très profonde car la nourriture devient chair de notre chair et sang de notre sang. On entend d’ailleurs des mères dire à leurs enfants qu’elles serrent contre elles et qu’elles embrassent: «Je t’aime tellement que je te mangerais!»
Il est vrai que la nourriture n’est pas une personne vivante et intelligente avec laquelle nous pouvons échanger pensées et marques d’affection mais supposons un instant que la nourriture elle-même soit vivante et intelligente, n’aurait-on pas dans ce cas la parfaite communion? C’est précisément ce qui se passe dans la communion eucharistique. Le «Pain vivant descendu du ciel» n’est pas une simple chose mais une personne vivante. Il s’agit de la communion la plus profonde, même si c’est aussi la plus mystérieuse.
Mais la liturgie nous propose ce soir un deuxième geste: comme le Christ a lavé les pieds des disciples, je vais laver les pieds de douze d’entre nous. Voila aussi comment se manifeste l’amour de Dieu.

Les faux dieux, tous les faux dieux asservissent l’homme; notre Dieu, et Lui seul, se fait le serviteur de l’homme.
Vous savez comment pharaon asservissait les Hébreux en Égypte: «Qu’on alourdisse le travail de ces gens, qu’ils le fassent et ne prêtent plus attention aux paroles de Moïse» (Ex 5, 9). Le nombre des faux dieux qui asservissent aujourd’hui l’homme est légion. Au sommet de ce panthéon, il y a une trinité: l’Argent, le Sexe, le Pouvoir. Mammon est au premier plan; il entre directement en concurrence avec le Dieu de Jésus-Christ puisque «Nul ne peut servir deux maîtres [?] Vous ne pouvez servir Dieu et l’Argent.» (Mt 6, 24). Qui peut prétendre qu’il n’est pas, au moins un peu, l’esclave de l’Argent? Il y a une manière de revendiquer toujours plus, de ne jamais se contenter de ce que l’on a, qui est une marque certaine de cette dépendance. Il en va de même pour le Sexe et pour l’appétit de Puissance. Toujours dans ce panthéon, il y a des dieux secondaires, des nouveaux venus, des maîtres durs et implacables vis-à-vis desquels nous nous complaisons dans une relation servile. Internet, par exemple. Il suffit que ce dieu ci déserte notre maison pour que monte aussitôt vers lui une grande clameur: «Sans toi je ne peux plus travailler, sans toi je ne peux rien faire.» Un cri d’esclave!

Face à tous ces esclavages acceptés par l’homme, je ne connais qu’un Dieu qui se soit mis aux pieds de sa créature pour la servir humblement. Cherchez dans toutes les traditions religieuses, vous ne trouverez pas d’autre exemple! «Je ne vous appelle plus serviteurs?» (Jn 15, 15) nous dit avec tendresse le Seigneur. Et pourtant, créés par lui, nous sommes des serviteurs-nés. Mais «il faut que l’amour s’abaisse», disait s. Thérèse de l’Enfant-Jésus et de la Sainte-Face. Alors la Sagesse éternelle du Père, le Verbe de Dieu, le Très-Haut descend aussi bas qu’il le peut. «Lui, de condition divine, ne retint pas jalousement le rang qui l’égalait à Dieu. Mais il s’anéantit lui-même, prenant condition d’esclave, et devenant semblable aux hommes.» Et ce n’est pas tout: le Fils de l’Homme ne va pas seulement jusqu’à ras de terre pour nous servir. «S’étant comporté comme un homme, il s’humilia plus encore, obéissant jusqu’à la mort, et à la mort sur une croix.» (Phi 2, 6-8). Quel mystère, frères et sœurs!

Il y a encore autre chose. Ces deux gestes ne sont pas seulement de pieux souvenirs enfouis dans notre mémoire. Notre Dieu n’est pas seulement Celui qui se donne à manger aux hommes et qui se fait le serviteur des hommes; Il est aussi Celui qui commande d’agir de même les uns envers les autres:

– «Il n’y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ceux qu’on aime.» (Jn 15, 13). «Faites ceci en mémoire de moi.» (1 Co 11, 24-25).

– «Si donc je vous ai lavé les pieds, moi le Seigneur et le Maître, vous aussi vous devez vous laver les pieds les uns aux autres. Car c’est un exemple que je vous ai donné, pour que vous fassiez, vous aussi, comme moi j’ai fait pour vous.» (Jn 13, 14-15).

Si nous voulons avoir part au Royaume de Dieu, il faut obéir à ce double commandement. Apprenons de l’Amour à aimer comme Il aime.

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