Homélie du 27 septembre 2015 - 26e DO

Jésus bon paroissien

par

fr. Nicolas-Jean Porret

Chers paroissiens, il y a une quinzaine d’années autour de la Pentecôte, un jeune étudiant assidu à nos offices m’avait offert un tableau qu’il venait de peindre. Ce tableau était le résultat de sa fidélité aux Laudes du temps pascal. Avec nous il avait chanté, matin après matin, la victoire des Hébreux délivrés de l’Égypte : « Chantons le Seigneur car il a fait éclater sa gloi-a-a-a-re ; il a jeté à l’eau cheval et cavalier… » Ce tableau peignait la scène de l’Exode : à gauche, sur un fond bleu sombre, la lourde main de Pharaon culbutée, écrapoutie, dans la noyade nocturne de la mer Rouge ; à droite, sur un fond ocre jaune, Moïse, le bâton de Dieu levé, à la tête du peuple des Hébreux vainqueur de l’Égypte malgré lui ; et, détail intéressant : au petit matin, ces miraculés de la Pâque, hagards, avaient au-dessus de leurs têtes des sortes d’auréoles qui semblaient les précéder et les attirer vers le désert…

Ils nous ressemblent ces Hébreux ; ou plutôt nous leur ressemblons. Comme dit l’Épître aux Hébreux : « Nous n’avons pas ici-bas de cité permanente, et nous recherchons celle de l’avenir » (He 13, 14). La Terre promise, Dieu la donne à son peuple afin que là il lui rende le culte qu’il lui demandait de lui offrir dans le désert : « Car tu es un peuple consacré au Seigneur ton Dieu : c’est toi qu’il a choisi pour être son peuple, son domaine particulier parmi tous les peuples de la terre » (Dt 7, 6).

De même pour nous… Toulouse n’est pas notre cité permanente ! Cité de l’aéronautique (ou de la saucisse), peut-être, mais d’abord pour nous cadre propice au culte que Dieu nous invite à lui rendre, escabeau en vue de la cité que nous espérons : « Pour nous, notre cité se trouve dans les cieux, d’où nous attendons ardemment, comme sauveur, le Seigneur Jésus Christ » (Ph 3, 20).

Nous sommes les hôtes de Toulouse, comme les Hébreux furent les hôtes d’abord du désert puis de la Terre promise. Et avec la même clause de fidélité assignée par Dieu.

Tant qu’il fut fidèle à la conscience d’être un hôte et non un propriétaire, Israël vécut en paix. Dieu lui dit : « La terre m’appartient, et vous n’êtes pour moi que des étrangers et des hôtes » (Lv 25, 23) ; et le psalmiste répond : « Je suis l’étranger chez toi, un passant comme tous mes pères » (Ps 39, 13).

Nous sommes également des « étrangers en résidence », autrement dit des « paroissiens »… C’est en effet, le sens premier, étymologique, du mot « paroissien ». « Paroisse » vient du grec par-oikos (para-oikos), qui signifie « à côté » (ou « le long ») d’une « maison » ; c’est l’idée de ne pas avoir sa propre maison, d’être ou de se considérer comme l’hôte d’une maison ou d’un groupe de maisons, un « étranger domicilié » dans une ville d’adoption.

Ce thème parcourt tout l’Ancien Testament, mais on le retrouve également en contexte chrétien dans un écrit admirable de la fin du IIe siècle, l’Épître à Diognète. Ce texte (retrouvé dans une poissonnerie de Constantinople au XVIe siècle), est d’un chrétien qui défend auprès du gouverneur romain Diognète le phénomène social nouveau du christianisme :

« Les chrétiens ne se distinguent des autres hommes ni par le pays, ni par le langage, ni par le vêtement. Car ils n’habitent pas de villes qui leur soient propres […]. Ils habitent les cités grecques et les cités barbares suivant le destin de chacun […]. Ils résident chacun dans sa propre patrie, mais comme des « étrangers domiciliés » (littéralement : « comme des paroissiens [paroikoi] ») Épître à Diognète, §5.

Il me plait de penser que notre assemblée paroissiale ressemble à un peuple jamais installé : aux Hébreux arrachés à leurs maisons d’esclavage lors de la Pâque en Égypte, citoyens du désert ; aux chrétiens des premiers siècles, étrangers à ce monde, libres pour Dieu.

Il me plait de vous imaginer, chers paroissiens, devant vos maisons, chaque dimanche matin, appelés au service de Dieu quand sonne la cloche, disposés à célébrer la Pâque du Seigneur. Hem…, soyons honnêtes : je concède que vous puissiez parfois être mal réveillés, comme ces Hébreux du tableau de notre jeune paroissien matinal, encore vacillants après le baptême de la mer Rouge ; mais je vous vois auréolés d’une vocation céleste !

Cette précarité est peut-être à cent lieux de nos gloires passées, quand le christianisme façonnait, sculptait, la civilisation occidentale et portait l’Évangile aux confins du monde. Mais avez-vous entendu l’Évangile ? Jésus ramène les prétentions de ses disciples les plus zélés à seul bien : ne pas scandaliser « ces petits qui croient ». Il nous invite à retrancher de nos cœurs de disciples mal dégrossis tout ce qui pourrait faire chuter ces petits, et qui peut au final nous faire chuter nous-mêmes. C’est au point qu’il vaudrait mieux entrer manchot, estropié ou borgne dans la Vie, que d’aller tout entier avec une pseudo-prétention de parfait disciple vers la Géhenne où le feu ne s’éteint pas !

Notre honneur n’est pas que le Christ *nous appartienne*, mais que *nous lui appartenions* ! « En lui la joie de notre cœur, en son nom de sainteté notre foi » (Ps 32, 21). Si en ce nom-là, en notre qualité de disciple authentique, l’on nous honore, ne serait-ce que d’un verre d’eau, alors c’est… gagné !

Notre honneur, chers paroissiens est que Jésus lui-même se soit fait paroissien. En effet, la seule fois où le Nouveau Testament utilise ce mot c’est pour parler de Jésus : « Prenant la parole, l’un des disciples d’Emmaüs, nommé Cléophas, lui dit : “Tu es bien le seul des résidents étrangers (paroissiens) de Jérusalem à ignorer ce qui y est arrivé ces jours-ci !” »

Jésus s’est fait l’un des *résidents de passage*, un paroissien, de Jérusalem. Mais il n’a guère été reçu parmi les siens ; il a été mis à mort, et en-dehors de la ville ! Mais le Christ paroissien et pèlerin nous englobe dans son chemin d’Exode. Aujourd’hui encore il nous rejoint et nous partage le pain de la Terre promise.