Homélie du 12 septembre 1999 - 24e DO

« Justice et miséricorde »

par

fr. Augustin Laffay

Dix mille talents! Un talent pèse 20 kg d’argent. Dix mille talents, c’est une montagne de lingots et de pièces, une somme astronomique. Le roi qui est capable de prêter un montant aussi exorbitant sans se priver est capable de tout. L’homme qui reçoit de son souverain le prêt d’une telle somme reçoit la plus grande marque de confiance qui se puisse donner. C’est bien connu, on ne prête qu’aux riches ! On ne prêterait pas une telle somme à quelqu’un qui risquerait de se montrer insolvable.

Dix mille talents, c’est énorme. Ce n’est pourtant rien comparé à ce qui nous a été donné par Dieu, à chacun personnellement. La différence entre le don que Dieu nous fait et ces dix mille talents est infiniment plus grande que celle qui existe entre les dix mille talents et les cent deniers de la parabole. Les cent deniers, ce sont ces menues pièces jaunes qu’on abandonne si volontiers aux enfants, aux pauvres ou dans les paniers de quête. Nous avons reçu beaucoup plus de dix mille talents puisque nous avons reçu chacun le don de l’existence et tous ensemble le dépôt de la Création. Pas un instant ne s’écoule dans notre vie sans que Dieu ne nous fasse, en cet instant, un don infiniment supérieur à celui des dix mille talents. Un être humain, fut-il malade, inconscient, pervers, vaut plus que tout l’or du monde.

Mais l’histoire ne s’arrête pas là. Le roi « voulut régler ses comptes avec ses serviteurs». Le roi exige son dû. Il veut que justice soit rendue. C’est normal. Il a prêté son argent ; il veut le retrouver. Où irait le monde si on se croyait libre de ne pas honorer ses dettes? Être juste, cela consiste à rendre à chacun ce qui lui est dû. Le roi est juste; il exige qu’on soit juste avec lui. Cela va de soi.

C’est pourtant ici que se noue le drame. Le grand problème qui se pose alors, c’est que le débiteur ne peut plus rembourser sa dette à Dieu. « La cigale ayant chanté tout l’été se trouva fort dépourvue quand son maître fut revenu. » Nous avons les poches percées, irrémédiablement percées. Notre faute, notre péché consiste à laisser perdre ? ou à détourner de leur usage ? tous les biens dont nous sommes si largement comblés par la Providence. Nous les laissons filer à la fois par méchanceté et par bêtise ou – si vous préférez – moitié par malice, moitié par misère. à l’heure du règlement des comptes, à l’heure de la justice, nous nous trouvons idiots, penauds, benêts. Ne nous étonnons pas d’être alors traités selon la justice. Le débiteur insolvable par sa faute, même si cette faute n’est que de simple négligence, mérite ce qui lui arrive. Quand Dieu exige que nous lui rendions ce qu’il nous a remis, il ne commet pas d’injustice. Bien au contraire, il est suprêmement juste. La punition du débiteur, c’est le retour à la simple justice.

Sans annuler ce rapport de justice, le roi accepte pourtant de passer sur ce qui lui est dû. Lui n’a pas de comptes à rendre. C’est son argent, il l’a prêté. Maintenant, il accepte par pure libéralité d’y renoncer.

Dieu se montre miséricordieux. La miséricorde, a-t-on dit, c’est une corde tendue à la misère. Dieu voit notre détresse. Il voit, au fond, que nous sommes plus bêtes que méchants. Nous sommes bien ennuyés de notre médiocrité et Dieu se laisse apitoyer. Il est ému de compassion, touché par notre misère. Nous méritons d’être punis mais il accepte de passer outre. Dieu sonde nos cœurs et nos reins. Il nous connaît bien mieux que nous ne nous connaissons. Il voit que l’homme mesure rarement la portée de ses offenses. Sa miséricorde s’étend sur nous quand il découvre en nous l’aveu que nous ne pouvons pas nous en sortir tout seuls. Dieu nous pardonne. Il est prêt à lier amitié avec nous et va jusqu’à prendre sur lui la dette, à en supporter les conséquences. C’est cela pardonner.

Mais on ne se moque pas de Dieu. On ne se moque pas de la miséricorde de Dieu comme le fait le débiteur impitoyable. En Dieu, justice et miséricorde ne s’opposent pas. La justice éclaire ce que la miséricorde vient guérir. Quand Dieu fait miséricorde, c’est encore sa justice qui s’accomplit. Le débiteur, lui, oppose justice et miséricorde. Il demande la miséricorde pour lui et refuse la miséricorde à son frère, au nom de la stricte justice. C’est une comédie. La preuve que nous avons reconnu l’amour miséricordieux de Dieu pour nous c’est le pardon accordé à nos frères du fond du cœur, « jusqu’à soixante-dix sept fois ».

Heureux sommes-nous! Dieu a révélé en Jésus-Christ sa justice et sa miséricorde. Heureux sommes-nous chaque fois que nous pardonnons «du fond du cœur »! Le pardon arrache et élimine la haine. Dans un instant, nous allons célébrer le Saint-Sacrifice de la Messe. Nous allons nous tenir au pied de la Croix glorieuse d’où jaillissent l’eau et le sang. Qu’aucune discorde ne trouble nos cœurs. Alors nous pourrons célébrer la Passion de celui qui ne devait rien à personne et qui s’est fait notre justice. Ma justice et ma miséricorde : Viens Seigneur Jésus!

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