Homélie du 22 février 1998 - 8e DO

La faiblesse de Dieu

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Voici six ans, je suis arrivé dans votre pays et dans quelques mois, je regagnerai ma patrie. Il est probable que c’est la dernière fois que je m’adresse à votre assemblée dominicale. Aussi j’aimerais dire quelques mots sur la vie qui m’attend en Hongrie, au couvent dominicain de Budapest. Ce sera une illustration des paroles de Jésus: « À qui te frappe sur une joue, présente encore l’autre; à qui t’enlève ton manteau, ne refuse pas ta tunique ». Cette exhortation est adressée directement à nous, chrétiens de l’Europe centrale et orientale.

Comme vous le savez, la présence de l’Armée Rouge à partir de 1945 a conduit à la prise de pouvoir des communistes, à la dictature du parti unique. Toutes les autres forces politiques ont été réduites; les Églises étaient considérées comme obstacle à l’expansion de l’idéologie lénino-staliniste. On nous a frappés sur les deux joues! On nous a enlevé le manteau et même la tunique: les évêques furent emprisonnés ou écartés, les religieux dispersés, les biens confisqués, les écoles nationalisées, la presse étouffée, le peuple terrorisé. Même si des changements s’apercevaient à partir de la fin des années 60, c’est en 1989 que le régime s’est effondré. Quel événement! Ce période a été pour moi une des plus belles de ma vie. Je souhaite à tous de vivre un jour un tel sentiment de liberté avec l’enthousiasme de l’espoir inattendu.

Et voilà la grande question d’aujourd’hui pour nous en Hongrie: Que faire avec le passé, avec nos deux joues frappées, nos manteaux et tuniques enlevés? Allons-nous nous venger? Excommunier ou maudire nos persécuteurs d’antan? Récupérer tout ce qui nous appartenait, à tout prix? Allons-nous devenir riches et puissants? Je crois que ce n’est pas cela que le Christ attend de nous; ce n’est pas cela non plus que les hommes attendent de l’Église aujourd’hui. Devenus arrogants et riches, quel exemple donnerions-nous à la société hongroise qui, sortant du communisme, passerait d’un matérialisme à un autre? Ce serait une faute morale!

Mais il y a plus ici que l’exemple moral. Si nous regardons l’histoire, nous voyons que l’Église avait le plus de crédit dans les moments où elle était la plus pauvre, où elle était persécutée, bref, où elle était apparemment perdante. En étant dans le camp des vaincus, l’Église prouve qu’elle n’est pas de ce monde et que son bonheur ne s’accomplit pas ici-bas: elle est dans ce monde, elle est signe pour ce monde, mais elle reste hors circuit dans la logique de ce monde, ses buts ne sont pas tout à fait ceux de ce monde. Il faut que les chrétiens soient présents dans la société hongroise, nous, Dominicains, nous avons un rôle à jouer. Mais nous ne devons pas nous compromettre avec les grands de ce société, si nous voulons être des vrais témoins d’une espérance qui surpasse les espoirs de ce monde.

Allons encore plus loin. Le rôle de l’Église dans le monde, ce n’est pas qu’une question morale, ni sociale. L’Église est en effet représentante de Dieu. Porteuse de Dieu dans le monde, elle reproduit l’attitude du Seigneur; cette attitude nous est rapportée d’une façon particulièrement frappante dans le livre du prophète Osée. Marié, trompé par femme, il l’accueille de nouveau en lui pardonnant, parce qu’il se rend compte qu’il l’aime quoiqu’elle fasse, plus que tout. Tel est l’amour de Dieu pour l’homme. Il l’aime, non à cause de ce qu’il fait, mais tout d’abord parce qu’il est. Dieu en raison de cet amour qui pardonne et compatit, s’est fait complètement pauvre. Dieu s’est désarmé. Dans notre histoire, il n’a pris aucun moyen de force. Il y a donné même son Fils. La faiblesse de l’Église incarne donc la faiblesse de cet amour.

Nous, chrétiens de l’Europe centrale et orientale, nous devons donc être une Église faible. Nous voyons cependant que cette faiblesse n’est pas une sorte d’inertie, mais elle est voulue, elle est construite. Comment la construire? En nous enracinant de plus en plus profondément en Dieu et dans sa Parole à travers la tradition des siècles, et individuellement, et communautairement. Je pense que c’est le plus grand défi de l’Église d’aujourd’hui. Il nous faut acquérir d’abord un esprit de confiance: on l’a complètement perdu durant ces dernières décennies. Il faut ensuite prêcher que Dieu n’est pas loin de nous. Et il faut dire aussi que l’Église, c’est le Christ en nous: chrétiens, nous en faisons tous partie et nous en avons tous la responsabilité.

Mais pourquoi vous dis-je tout cela sur la Hongrie? Chez vous, en France, c’est peut-être autrement?

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