Homélie du 6 décembre 2020 - 2e Dimanche de l'Avent

La petite bonté

par

fr. Jean-Michel Maldamé

Il est un verbe dont l’emploi se fait rare. Et pourtant, il exprime une attitude fort commune. Ce verbe n’a pas cours sur les lèvres des maîtres à penser d’aujourd’hui et pourtant il désigne une attitude des plus communes : se résigner. La résignation fait que l’on accepte que les choses et les situations soient ce qu’elles sont. La résignation nous fait retenir seulement l’immédiat et laisse le reste dans l’ombre. N’est-ce pas un triste consentement à la tristesse du monde ?

Aujourd’hui apparaît Jean-Baptiste, tout le contraire d’un homme résigné. En témoigne le tranchant de ses paroles en accord avec un style de vie. On note le vêtement en poil de chameau et les repas de sauterelles comme un exotisme qui relève du divertissement. La note de l’évangile n’est pas sans une grande signification. Fils du prêtre Zacharie, Jean était d’une famille sacerdotale et, selon la Loi de Moïse, il était prêtre. Il aurait dû porter des vêtements délicats ; pour parler au peuple ou remplir ses fonctions au Temple, il devait porter des habits somptueux. Dire qu’il était vêtu comme les hommes du désert d’un tissage à base de poil de chameau n’est pas un détail ; c’est l’attestation d’une rupture. De même, dire que Jean mangeait des sauterelles n’est pas un détail. Prêtre, Jean avait droit aux meilleures parts de la viande offerte en sacrifice de communion. Ainsi, le fait de manger des sauterelles, comme on le fait en temps de famine, atteste une rupture avec le système sacrificiel. Quelle rupture ? Dans la religion juive d’alors, c’est par un sacrifice que le péché est expié ; Jean annonce que c’est fini : le pardon des péchés est donné par le baptême ; cet acte symbolique de purification du corps accompagne le regret de ses fautes et la demande de pardon à Dieu. Par cette radicalité, Jean ne se résigne pas à la médiocrité qui dominait alors la caste sacerdotale et les princes vassaux de l’Empire. Jean ne prêchait pas la résignation. Il le fit haut et clair ; nous savons qu’il le paya au prix de sa vie.

Quand les évangiles nous disent que Jésus commença sa vie publique à la suite de Jean, ils attestent qu’il a vécu la même rupture. Cela lui valut la haine des pouvoirs corrompus qui l’ont fait mourir en croix — lui le témoin d’un Dieu qui ne cautionne ni les combines ni les compromis avec un monde corrompu. Quoi de plus actuel ? Mais Jésus fait un pas de plus. Jean annonçait le règne de Dieu qui vient. Jésus fait advenir ce règne. Que fait-il ? Nul ne l’ignore : Jésus guérit les malades ; il purifie les cœurs ; il nourrit la foule dans le désert ; il ouvre l’intelligence des Écritures ; il éveille à la fraternité… Bref, Jésus fait que la vie soit vraiment un accomplissement de notre humanité selon le désir de Dieu par une voie nouvelle quand il dit que Dieu veut l’amour et non les sacrifices, car Dieu est Père.

Quand on met en œuvre ce programme de vie, il y a une logique : commencer par le commencement, c’est-à-dire commencer avec le prochain le plus proche. Proche dans l’espace, mais aussi dans le cœur, dans l’esprit et dans les liens qui font l’humanité. Ce petit commencement est source d’une vie qui s’ouvre à l’universel. Pour qu’advienne cette présence, le geste le plus humble ou la parole la plus simple sont un trésor. Un trésor, oui, quand il est un acte de bonté ! Tel est le chemin du Règne de Dieu ! La bonté — non pas les actes spectaculaires, mais la petite bonté qui brise le cercle de la violence.

Le plus simple des actes de bonté est une source. Cela commence par l’attention à l’état où se tient notre prochain. Ce qui invite à juger de la situation et permet d’entrer dans le réseau des solidarités, des interactions, des relations qui font l’humanité humaine. Dans ces actes de bonté, on ne prend rien. On est dans l’ordre du désintéressement, de la liberté et de la justice.

Commence une immense aventure : celle de la vie pleinement vécue. L’épreuve que nous vivons, le temps de l’épidémie due à la Covid nous l’a appris. Pour chacun de nous, la petite bonté pour nos proches rend notre vie humaine, parce qu’alors nous ne cherchons ni à prendre, ni à dominer, ni à imposer, mais à partager — fut-ce le peu qui nous reste. Ce n’est pas facile. Nous le savons, le confinement n’a pas facilité les relations dans les familles, dans les couples et avec soi-même… Au contraire ! Cette triste réalité est la preuve que la voie de la vie ne peut se développer que dans la bonté qui, dans la proximité et la fidélité, ouvre le chemin de la vie. Tel est le commencement du commencement qui ouvre la voie à un amour universel.

En ce temps qui nous prépare à Noël, nous prendrons comme exemple Marie et Joseph. Ils sont les modèles de cette présence mutuelle dans la confiance, dans la foi partagée, dans l’amour mutuel et le souci d’autrui. Ils sont un modèle pour tous les hommes et les femmes qui avancent sur le chemin sans consentir à la puissance du mal, sans se résigner à ce qui blesse, opprime ou détruit la vie que Dieu nous a donnée pour qu’elle s’épanouisse. En fêtant Noël dans quelques jours, selon les traditions locales, nous regarderons les santons de la crèche et, avec ce peuple au cœur pur, nous renouvellerons notre espérance.