Homélie du 27 février 2005 - 3e DC

« La soif de l’eau et l’eau de la soif: le Don de l’Amour »

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Tout commence par la soif. Tout finit par elle aussi. Jésus est fatigué par la marche. Le peuple de Dieu aussi, dans le désert, avait connu la fatigue et la soif, au point de récriminer contre le Seigneur et contre Moïse, et d’obtenir de celui-ci, qu’en frappant le rocher, il procure cette eau indispensable à la vie et dont tant de nos contemporains sont encore aujourd’hui privés.

Celui qui a soif manque d’eau. Elle est donc logique, évidente, cette demande de Jésus: Donne-moi à boire.

Certes, il s’adresse à une femme, ce qui étonnera les disciples à leur retour. Certes, il s’adresse à une Samaritaine, ce qui étonnera celle-ci car les Juifs n’ont pas de relation avec les Samaritains. Mais il est vraiment homme, il a vraiment soif.

Faut-il chercher plus loin l’explication de son appel? Sans doute, car il étonne de nouveau cette femme en ajoutant: Si tu savais le don de Dieu et qui est celui qui te dit: Donne-moi à boire, c’est toi qui l’aurais prié et il t’aurait donné de l’eau vive, manifestant ainsi qu’il s’agit de cette eau promise en Isaïe (12, 3) – Dans l’allégresse vous puiserez de l’eau aux sources du salut – ou en Jérémie (2, 13) – Ils m’ont abandonné, moi la source d’eau vive – : de la vie divine. Et encore (Ps 36, 9-10): Au torrent de tes délices tu les abreuves; en toi est la source de vie.

Un peu plus loin, dans le même Évangile (Jn 7, 37-38), c’est à tous qu’il s’écriera: Si quelqu’un a soif, qu’il vienne à moi et qu’il boive, celui qui croit en moi! selon le mot de l’Écriture: De son sein couleront des fleuves d’eau vive. Et l’évangéliste explique: Il parlait de l’Esprit que devaient recevoir ceux qui avaient cru en lui. Au Golgotha, de son côté transpercé par la lance du soldat, sortira du sang et de l’eau. Oui, de son sein couleront des fleuves d’eau vive. Mais ils coulent du côté d’un Crucifié qui dit J’ai soif, qui accomplit la parole du Psaume (69, 21-22): L’insulte m’a brisé le cœur, jusqu’à défaillir. J’espérais la compassion, mais en vain, des consolateurs et je n’en ai pas trouvé. Pour nourriture ils m’ont donné du poison, dans ma soif, ils m’abreuvaient de vinaigre.

Elle l’a bien compris, cette petite Thérèse Martin, âgée seulement de 14 ans et déjà ardemment désireuse d’entrer au Carmel, et qui, peu après avoir mûri subitement par la grâce de Dieu au cours de la nuit de Noël, vit cette expérience qu’elle relate ainsi: Un Dimanche en regardant une photographie de Notre-Seigneur en Croix, je fus frappée par le sang qui tombait d’une de ses mains Divines, j’éprouvai une grande peine en pensant que ce sang tombait à terre sans que personne ne s’empresse de le recueillir, et je résolus de me tenir en esprit au pied de (la) Croix pour recevoir la Divine rosée qui en découlait, comprenant qu’il me faudrait ensuite la répandre sur les âmes… Le cri de Jésus sur la Croix retentissait aussi continuellement dans mon cœur: «J’ai soif!» Ces paroles allumaient en moi une ardeur inconnue et très vive… Je voulais donner à boire à mon Bien-Aimé et je me sentais moi-même dévorée de la soif des âmes… (Manuscrit A, 45 v°).

Elle veut donner à boire alors qu’elle sent la soif, elle veut désaltérer le Crucifié de sa soif mais en même temps communier à cette soif, communier par amour à une soif qui est amour. C’est en effet celui qui manque d’eau, celui qui a soif, qui peut abreuver. Nous sommes dans la logique de notre Évangile. Bienheureux les assoiffés.

Dix ans plus tard, peu avant de mourir prématurément, elle écrit dans une lettre à Sœur Marie du Sacré Cœur, sa marraine: Jésus ne demande pas de grandes actions, mais seulement l’abandon et la reconnaissance (…) Voilà donc tout ce que Jésus réclame de nous, il n’a point besoin de nos œuvres, mais seulement de notre amour, car ce même Dieu qui déclare n’avoir point besoin de nous dire s’il a faim, n’a pas craint de mendier un peu d’eau à la Samaritaine. Il avait soif… Mais en disant: «Donne-moi à boire», c’était l’amour de sa pauvre créature que le Créateur de l’univers réclamait. Il avait soif d’amour… Ah! je le sens plus que jamais Jésus est altéré, il ne rencontre que des ingrats et des indifférents parmi les disciples du monde et parmi ses disciples à lui, il trouve, hélas! peu de cœurs qui se livrent à lui sans réserve, qui comprennent toute la tendresse de son Amour infini.

Elle a compris, elle, que l’eau donnée par Jésus est la soif du Crucifié, l’amour de son Cœur. Dans une prière composée pour le noviciat, elle écrit: De votre Bouche Adorée, nous avons entendu la plainte amoureuse. Comprenant que la soif qui vous consume est une soif d’Amour, nous voudrions, pour vous désaltérer, posséder un Amour infini! Elle a donc moins soif d’eau que de soif, car l’amour a soif de donner et c’est ainsi qu’il abreuve. La petite sainte Thérèse de l’Enfant Jésus et de la sainte Face conserve d’ailleurs dans son bréviaire une image au bas de laquelle elle a écrit cette dangereuse prière: Que j’expire altérée de la soif de voir la Face de mon Dieu! Que j’expire altérée! Que je meure de soif! De soif spirituelle assurément mais non moins réelle, le spirituel n’excluant pas le littéral.

À l’heure de son agonie la soif physique, brûlante, celle que connaissent les malades incapables de déglutir, l’assaille. Elle souffre extrêmement de la soif. «Je ne suis jamais désaltérée, disait-elle. Si je bois, la soif augmente. C’est comme si je versais du feu à l’intérieur». Tous les matins, sa langue est si desséchée qu’elle ressemble à une râpe, à un morceau de bois. Elle était constamment brûlante de fièvre, ses lèvres en étaient toutes desséchées. (…) Une de ses sœurs témoignera: Un jour, je vis Sœur Marie du Sacré Cœur lui apporter une grappe de raisin pour étancher sa soif. Elle lui dit alors avec une douceur d’ange: «Me désaltérer! Ah! maintenant c’est fini! j’aurai toujours, toujours soif!»…