La symbolique du Nom

Frères et sœurs, nous fêtons la Nativité de Jean le Précurseur, mais l’évangile que nous venons d’entendre ne consacre que deux versets à cette naissance: tout le reste évoque le nom à choisir à l’occasion de la célébration de la circoncision, vue un peu comme un baptême, ce baptême dont Jean deviendra si l’on peut dire un spécialiste, au point que son nom et son activité se confondront: « Jean-Baptiste ».
En fait, la tradition biblique nous met devant deux fonctions essentielles du nom. Souvenez-vous, dans le deuxième récit de création de la Genèse, « Dieu amena à l’homme les oiseaux du ciel et les bêtes sauvages pour voir comment il les nommerait »; ce qui a permis au poète Pierre Emmanuel, dans un oratorio, de recourir à une allitération qui me ravit » l’homme ce nommeur ». Dans cette perspective, donner un nom ne revient pas à créer, une œuvre propre à Dieu, mais c’est au moins collaborer à la création divine en distinguant, en mettant de l’ordre dans cette création; car Jean n’est pas Georges et Georges n’est pas Jean… Voilà le premier effet du nom, distinguer et mettre en ordre.
Mais la tradition biblique évoque un autre effet de ce « nommage », à savoir définir une mission: appeler tel animal chacal et tel autre girafe, c’est attendre du premier qu’il se conduise comme un chacal et du second comme une girafe. Ce qui est, espérons-le, souvent le cas. Mais lorsque le nom fait référence à Dieu, ou mieux est donné par lui, alors il est le signe d’une mission et devient un élément essentiel de la vie. Souvenez-vous encore, dans l’évangile, Jésus s’adresse à Simon et lui dit: « Tu es Pierre, et sur cette pierre, je bâtirai mon Église ». Pierre était déjà Simon, distingué de tout autre homme, mais en recevant ce nom nouveau, il reçoit une mission nouvelle, celle de contribuer à l’édification de l’Église. De la même manière que lorsqu’un frère dominicain reçoit l’habit de l’Ordre, il lui est dit par exemple: « tu t’appelais Arthur, désormais tu t’appelleras frère Arthur », pour qu’il devienne d’abord et avant tout un frère.
Jean aurait dû s’appeler Zacharie, comme son père, mais son père et sa mère s’accordent de manière inattendue, en fait providentielle, pour lui donner un autre nom, celui de Jean, ce qui veut dire « Dieu fait grâce ». En accueillant le nom de Jean, Zacharie, Élisabeth et Jean lui-même acceptent de recevoir une vie toute nouvelle de Dieu. De fait, lors de sa naissance dans le sein de sa mère, voilà que la stérile devient féconde, et lors de sa naissance au monde, voilà que le père muet se remet à parler. Le nom qui distingue et le nom qui donne la mission vont de pair.
Frères et sœurs, vous le savez, ces deux dimensions sont aujourd’hui disjointes, au profit de la première: on voit mal le rapport de prénoms comme Fetenat ou Derson avec une mission divine. Il y a peut-être quelque reste: ceux qui choisissent de baptiser leur fils Zidane attendant sûrement de lui qu’il soit un grand footballeur et qu’il sache où donner de la tête. Mais cela n’a rien de divin, et le nom est aujourd’hui plutôt choisi au gré des humeurs, parce qu’il sonne bien. Il me semble symptomatique que l’un des grands héros de bandes dessinées actuelles soit un personnage sans nom, baptisé si l’on peut dire XIII, mais qui en fait ne sait plus à quel saint se vouer ; faute de nom, il passe d’une mission à une autre, ce qui permet, il est vrai, de multiplier les albums et les profits du dessinateur!
La question du nom peut paraître secondaire, elle me paraît pourtant l’une des expressions du refus de Dieu: l’homme ne collabore plus à l’œuvre divine, il ne veut rien recevoir de lui, aucun nom certes, mais surtout pas sa vie. Le chrétien est appelé à exprimer un engagement exactement inverse, à signifier de toutes les manières, et, si cela doit aller bien au-delà, cela peut commencer par le choix du nom, qu’il attend de Dieu sa vie: Zacharie, Élisabeth et Jean l’ont fait, non sans en recevoir de grandes bénédictions.
Alexandre, tu vas être baptisé tout à l’heure, et tu aurais pu choisir un nouveau nom de baptême. Tu gardes celui que t’ont donné tes parents à ta naissance: c’est certes un signe de fidélité à leur égard, mais ce nom qui, jusqu’à maintenant t’a distingué, que tu t’es approprié, doit devenir maintenant pour toi un don et le signe que, toi aussi, tu choisis de remettre toute ta vie au Seigneur. A l’exemple de ton saint patron qui a donné sa vie pour le Christ en 177 à Lyon, ou plutôt qui l’a redonnée: parce qu’il savait qu’il la tenait de lui. « Dieu a donné, Dieu a repris, que le nom du Seigneur soit béni! » aurait-il pu dire à la suite de Job. Que cet exemple ne cesse de t’inspirer, qu’il inspire chacun de nous pour que nous donnions le témoignage d’une désappropriation de nous-mêmes et que nous puissions redire aujourd’hui, avec le prophète Isaïe: « C’est mon Dieu qui est ma force ».
