Est-ce le même Esprit qui a inspiré les deux plus grands prophètes de la Bible, Isaïe et Jean-Baptiste ? Isaïe entrevoit un monde où « on ne fera plus rien de mauvais ni de corrompu », où le loup habitera avec l’agneau et le nourrisson s’amusera avec le cobra ! C’était il y a vingt-huit siècles, il osait annoncer : « Il n’y aura plus ni mal ni corruption. » Huit siècles plus tard, Jean-Baptiste accueille ses visiteurs avec ces « douceurs » : « Engeance de vipères ! Qui vous a appris à fuir la colère qui vient ? » ― « Celui qui ne produit pas de bons fruits sera jeté au feu qui ne s’éteint pas » !
Isaïe annonce l’harmonie et la paix ; Jean-Baptiste le châtiment et la punition. C’est quand même troublant… Nos deux prophètes se contrediraient-ils ?
Non, car l’Évangile a soin de préciser que Jean est bien celui qu’annonçait Isaïe : « La voix de celui qui crie dans le désert. » Saint Paul confirme : « Tout ce qui est écrit dans [la Bible] sert à nous instruire » (2 Tm 3, 16) et à fonder notre espérance. Autrement dit, dans la Bible, tout est inspiré ; donc il faut tout garder. Surtout les contraires qui loin d’être contradictoires sont souvent complémentaires ; ainsi pour Isaïe et le Baptiste : leurs visions sont opposées mais chacune est vraie ; et les deux sont indispensables pour tisser la tension caractéristique de l’Évangile.
Or cette tension propre à l’Évangile, c’est pendant l’Avent qu’elle est la plus forte. Et, du simple fait que nous sommes chrétiens, nous sommes plongés dedans. D’un côté, en effet, on se prépare à Noël : « Paix aux hommes de bonne volonté ! » Nos cartes de vœux rappellent la douceur de la crèche et l’humilité du Tout-Puissant. Mais de l’autre côté, le monde est rempli de violences, d’injustices et de guerres, sans doute pas pour nous ici, mais pour tant d’innocents, proches et lointains.
J’ouvre ici une parenthèse. Quand on parle du mal, on ne pense souvent qu’au mal classique ; disons, pour faire court, celui des accidents et des assassinats, celui qui fait consensus. Pourtant il existe un autre mal, beaucoup plus grave : celui qui prétend prendre la place du bien dans le cœur des hommes. C’est le mal menteur et trompeur, qui se fait passer pour le bien : le loup qui se déguise en agneau pour mieux dévorer. Pour s’imposer, il n’utilise ni le couteau ni la bombe, mais la loi et la propagande. Bien qu’il aime se déguiser, il est facile à reconnaître… Parlez-lui de Jésus, et le voilà qui grimace et se tord en convulsions. Le Dieu de la Bible lui est insupportable, et surtout que l’homme soit à son image. Lui n’aime que César et Mammon, le Pouvoir et le fric, à qui tout doit être soumis. Or ce mal-là, ce mal pervers et radical, intervient dans la vie de tout le monde, et veut s’imposer à toute la société. Par exemple, il s’est infiltré dans la loi bio-éthique actuellement discutée au Parlement.
Frères, comment les chrétiens fermeraient-ils les yeux devant ce mal pervers qui avance discrètement mais inexorablement en beuglant « le progrès, le progrès » ! Serions-nous de ceux que Jésus compare à « des aveugles guidés par des aveugles », et dont il prédit qu’ils « tomberont tous deux dans la fosse » ?
Je referme cette parenthèse qui illustre si bien ce que doit être le temps de l’Avent : parce que nous sommes chrétiens, nous sommes forcément plongés dans la tension propre à l’Évangile, tension entre la douceur de Noël et la brutalité du monde.
Tu vois la crèche, tu vois la Croix !
Et si tu ne vois pas, interroge les saints Innocents.
Cette tension, Jésus en parle souvent dans l’Évangile, par exemple : « Vous êtes le sel de la terre ; mais si le sel devient fade, comment lui rendre sa saveur ? il ne vaut plus rien : on le jette dehors et on le piétine. » Or que nous arriverait-il si nous relâchions cette tension, si nous oublions la Bible, si nous ne prenions plus au sérieux ni Isaïe ni Jean-Baptiste ni Jésus-Christ ?
Il nous arriverait ce qui est arrivé à Noël : être réduits à une triste caricature… Si on demande à l’homme de la rue ce que représente Noël, on entend pêle-mêle : « Le Père Noël, les retrouvailles familiales, la fête des enfants, les cadeaux revendus sur internet, les marchés de Noël, la trêve des confiseurs, l’interdiction de crèches publiques, le réveillon, etc. »
Mais où sont passés la merveilleuse prophétie d’Isaïe, son annonce inouïe du Messie, la brûlante exhortation de Jean-Baptiste, et son appel à se convertir ?
Vous qui êtes venus ici, vous savez ce qu’est Noël et vous tenez à le préparer. Ne soyez donc pas étonnés si demain quelqu’un vous dit : « Ah bon, tu es allé à l’église dimanche… et pour faire quoi au juste ? » Vous lui répondrez : « J’y suis allé parce que Dieu m’a confié la grâce de Noël. » En répondant ainsi, vous vivrez, d’un côté, la tension entre la foi et l’espérance chrétiennes, et, de l’autre, notre appartenance à ce monde fugace. Et si votre interlocuteur reste bouche bée, vous ajouterez : « Je suis allé à l’église car je crois que la victoire sur le mal est déjà acquise, une fois pour toutes, mais… je sais aussi que je dois m’associer à cette victoire : je dois mener le bon combat de Jésus, je dois me convertir chaque jour. »
Par ces paroles, vous offrirez à ce collègue une chance de se laisser toucher à son tour par la grâce de Noël.
Frères, chacun de nous est faible, si faible ; pourtant c’est à chacun de nous que le Seigneur confie la grâce de Noël. Grâce qui portera son fruit, à condition que nous autres produisions des « fruits dignes de notre conversion ». C’est à notre portée : il suffit d’essayer ! Par exemple, relisons lentement en famille le passage de la lettre de saint Paul, et nous verrons les idées de conversion se bousculer dans nos cœurs…