Frères et sœurs, nous le savons, les Évangiles ne disent rien de la naissance ni de la mort de la mère de Jésus, et de sa vie, ne disent que peu de choses, bien qu’essentielles. On pourrait donc être surpris que l’Église ait choisi de fêter, le 8 décembre, un évènement antérieur même à la naissance de Marie, c’est-à-dire celui de sa conception. Ce tout premier instant d’une vie humaine n’est-il pas mystérieux, caché, insaisissable ? N’est-il pas étrange de commémorer un fait dont nous ne pouvons pas connaître avec certitude la date, le lieu, les circonstances ?
Et pourtant les récits apocryphes, notamment le Protévangile de Jacques, nous apportent des informations hautement significatives, que la tradition chrétienne a conservées et validées. Les parents de Marie, Joachim et Anne, étaient de saints personnages dans le peuple d’Israël. Mais ce couple âgé, comme d’autres dans la Bible, était stérile, et Joachim, maudit pour cela, avait même été chassé au désert. Les deux époux vivaient donc séparés. Mais à l’appel d’un ange, ils se sont retrouvés — à la porte Dorée de Jérusalem, comme on le voit sur les icônes — et ils se sont unis. Et par la grâce de Dieu, Anne a été enceinte et une enfant est née. Cette petite fille, nous dit-on encore, a grandi à l’ombre du Temple, dans la lecture des textes saints et la prière. Elle est devenue la jeune fille très pure à qui, nous venons de l’entendre, un ange annonce qu’elle sera enceinte et qu’elle mettra au monde le Fils de Dieu. Tout cela n’est pas mythique, n’est pas imaginaire, mais réel en même temps que profondément spirituel. La conception de Marie, c’est un « mystère joyeux », avant et avec tous les autres.
À ce propos, certains chrétiens confondent parfois l’Immaculée Conception, celle de Marie née d’un père et d’une mère, et la Conception virginale de Jésus en Marie, sans père humain. Vous ne faites pas cette erreur, bien sûr, et vous savez que le 8 décembre n’est pas le 25 mars. Mais elle se comprend en partie, car les deux événements sont unis : ils sont dans la même ligne, celle du plan de salut de Dieu pour l’humanité. Et le premier, que nous fêtons aujourd’hui, est plus qu’un miracle de fécondité : il anticipe, prophétise, réalise déjà les effets du salut apporté par le Christ.
Car la sainteté de Marie, préservée du péché originel et de ses conséquences, est une grâce qui lui vient des mérites du Sauveur, comme le précise la bulle Ineffabilis Deus par laquelle le pape Pie IX a défini ce dogme en 1854. Après des siècles de discussions parfois subtiles, l’Église a solennellement formulé ce qu’elle croit et professe — et que nos frères orthodoxes, sans en reconnaître le dogme, affirment à leur manière, puisque toutes les litanies byzantines se terminent par : « Faisant mémoire de Notre-Dame, la toute-sainte (panaghias), immaculée (achrandou), plus-que-bénie (hypervloghiménès), glorieuse et toujours vierge Marie… »
Alors oui, frères et sœurs, célébrons l’instant où Marie, encore embryon, fut mise « à l’ombre du Puissant » et couverte par cette ombre dès avant l’Annonciation. C’est ainsi que l’ange la salue du titre de « comblée de grâces » : kecharitôménè, un parfait passif que personne n’avait jamais employé et qu’on peut voir comme un rappel, au moment même de la conception de Jésus, de la conception de Marie sa mère. Comme elle le chante dans le Magnificat : « Le Puissant fit pour moi des merveilles », et voici la première des merveilles qu’il a faites pour elle : sa sainte et immaculée conception.