Homélie du 5 janvier 2020 - Solennité de l'Épiphanie (Temps de Noël)

Les mages et la fin des privilèges

par

fr. Pierre Zgirski

Frères et sœurs, depuis la nuit de Noël, nous avons de quoi avoir le tournis avec toutes ces célébrations qui se jouent de l’ordonnancement des événements du Salut. Aujourd’hui, nouveau soubresaut avec la fête de l’Épiphanie…
Et pourtant, cette distorsion dans l’agencement des événements du Salut se veut pédagogique. À l’image de la pédagogie divine, la liturgie nous bouscule en vue de notre relèvement. N’avons-nous pas chanté : « De la crèche au crucifiement, Dieu nous livre un profond mystère » !

Dieu est fidèle, donc conformément à la première alliance, priorité au peuple élu, dépositaire de la promesse, avec une prédilection pour les petits, les anawim : les bergers. Pour eux, annonce de la Bonne Nouvelle en mode coursiers express et flamboyants s’il vous plaît : les anges.

Mais déjà le temps presse, il faut que la Bonne Nouvelle — « un Sauveur vous est donné » — parvienne à tous les peuples. Très bien, ils s’en trouvent en Orient qui ont le nez dans les étoiles. Pour eux annonce en mode luminaire scintillant.
Logique : au commencement, Dieu n’a-t-il pas créé les luminaires et les étoiles afin qu’ils servent de signes pour marquer les rencontres festives ? Et ce sera la visite prophétique des mages à Bethléem, avec escale à Jérusalem pour une prédication courte mais percutante : « Où est le roi des Juifs qui vient de naître ? »

Elle fera le buzz jusqu’à réveiller Hérode dans son palais.
Avec les mages, la recherche de la vérité ne s’embarrasse pas de diplomatie. Leur cœur est pur de toute malice, « alors pourquoi trembles-tu Hérode ? »… Il ne vient pas pour s’emparer des royaumes terrestres Celui qui vient de naître, mais pour gagner nos cœurs, le tien aussi Hérode, en nous offrant un Royaume céleste. Et toi Hérode tu n’y vois que menace et destitution !

Les mages eux te sont reconnaissants : éclairés et confortés par la prophétie de Michée, ils reprennent la route avec assurance. L’étoile brille à nouveau, il fallait qu’elle s’éclipse. « La Parole de Dieu en se découvrant illumine, et les simples comprennent », comme le proclame le Psaume 118.
Hélas, on peut être expert en Écriture sainte et n’en rien saisir, tels les grands prêtres et les scribes, trop satisfaits d’avoir apaisé l’angoisse d’Hérode. Avec Dieu, pour trouver le Sauveur, il faut être petits comme les bergers ou simples comme les mages. Alors soyons attentifs, laissons-nous guider par la pédagogie divine qui se déploie sous nos yeux depuis la nuit de Noël.

Aujourd’hui, dans cette visite des mages, la profondeur du mystère qui se dévoile, ce n’est rien de moins qu’un effondrement ! Oui, un véritable effondrement… Non pas celui d’une étoile explosant en supernova scintillante, ni celui du règne d’Hérode, mais l’effondrement d’un mur. Le mur de séparation entre les juifs et les païens, le mur de la haine, présent jusqu’à l’intérieur même du temple de Jérusalem avec cette partie de l’esplanade réservé aux non-juifs. D’un côté les nantis, les fils d’Abraham selon la chair, héritiers de la promesse ; de l’autre, les païens, sans espérance.

La visite des mages c’est le signe de ce grand mystère que Paul annoncera aux Éphésiens : « Toutes les nations sont associées au même héritage, au même corps, au partage de la même promesse, dans le Christ Jésus, par l’annonce de l’Évangile » ; « Oui les païens sont cohéritiers… » : c’est la fin des privilèges ; voilà la grande et bonne nouvelle en ce jour de l’Épiphanie.

Frères et sœurs, les païens c’est nous ! Les héritiers, c’est encore nous.

Il ne suffit pas d’avoir connu le Messie d’Israël dans le silence de la Sainte Nuit de Bethléem avec les humbles bergers rassemblés autour de la crèche. Dans l’intimité de Marie et de Joseph, le Christ naît pour sauver tous les peuples ! Il a donc besoin de se faire connaître, de se manifester au monde. C’est le sens même de cette convocation des mages. Ils sont venus pour découvrir, ils repartiront pour annoncer.

D’ailleurs, Jésus ne s’y prendra pas autrement lorsqu’il commencera sa prédication.
Quelle a été sa première parole adressée aux siens ? : « Venez ! » Oui, viens pour voir et connaître qui je suis. Puis, au moment de quitter ce monde, que dira-t-il à ses disciples ? « Allez dans le monde entier annoncer la Bonne Nouvelle du Salut. » La visite des mages en est une illustration. Apercevant l’étoile, ils y ont reconnu une invitation : « Venez ! », venez rencontrer le roi des Juifs.

L’étoile qui scintilla à l’aube de leur foi les conduira à leur pleine illumination au pied de l’enfant Jésus. Seule la foi peut découvrir dans un enfant, le visage de Dieu ; dans le Roi qu’ils recherchaient, un Rédempteur à qui offrir de la myrrhe. Puis, ils sont retournés chez eux non pas pour y scruter à nouveau le ciel mais remplis d’espérance ils sont allés annoncer qu’un Dieu s’est fait homme pour sauver le monde.

Nos mages forment les prémices d’une immense procession dont nous sommes les héritiers. Les mages sont nos devanciers, nous sommes conviés à leur emboîter le pas pour affermir notre foi.
Imitons-les, imitons-les en tout !… Rencontre, adoration, offrande, et témoignage.

Oui, n’oublions pas le témoignage : le parent pauvre, rarement mis en avant. Pourtant, « à chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous ». Saint Jean-Paul II l’appelait la règle d’or de l’apôtre Paul. Elle s’applique à merveille en cette fête de l’Épiphanie, en ces jours où nous prenons de bonnes résolutions.

Le mot « épiphanie » signifie quelque chose de si évident, de si lumineux que cela ne peut être ignoré… d’où son pouvoir d’attraction. C’est le propre de toute bonne manifestation.

Célébrer l’Épiphanie, ce n’est pas simplement faire mémoire d’un événement du passé, c’est actualiser la grâce qui lui est associée. Cette grâce, cette manifestation de l’Esprit, c’est l’allégresse des mages, premiers bénéficiaires de la promesse faite à Abraham : « En toi seront bénies toutes les nations de la terre. »
« Abraham exulta à la pensée de voir le Jour de l’avènement du Sauveur : il l’a vu et il s’en est réjoui » ; les mages l’ont vu aussi, et leur joie est devenue adoration et offrande.

Frères et sœurs, par notre baptême nous sommes appelés à manifester la grâce dont Dieu nous a revêtus. Votre espérance doit briller sur vos visages comme la lumière qui inonda Bethléem au jour de la visite des mages. Les gens en vous voyant devraient s’exclamer : « Ce Sauveur dont vous témoignez, manifestement vous y croyez, ça se voit ! »

Alors attention, prenons garde ! Ne soyons pas de ceux qui, par une indifférence coupable, rebattissent ce mur de séparation. Nous, nous savons que cet enfant est le roi de l’univers, le Sauveur du monde. Nous savons que « toutes les nations sont associées au même héritage, par l’annonce de l’Évangile ».

Hélas, nous péchons souvent par omission : indifférence et égoïsme se liguent pour nous rendre sourds à cette exigence de l’annonce.

Pourtant, pas d’échappatoire avec la règle d’or de saint Paul. Alors, ne vous dérobez pas, ne restez pas à scruter les Écritures, ne vous contentez pas de fréquenter les sacrements, de demeurer dans votre communauté d’Église comme dans une caste confortable. Prenez exemple sur les mages.

Si l’Église est une épiphanie, une manifestation divine par les sacrements qu’elle dispense, votre lieu de ressourcement, c’est en vue du bien de tous ! Vous êtes disciples du Christ, c’est lui qui vous envoie pour éclairer ceux qui ne le connaissent pas encore. Vos collègues, les gens que vous croisez, vos amis, vos proches… ce sont souvent eux les païens d’aujourd’hui.
« À chacun est donnée la manifestation de l’Esprit en vue du bien de tous » ; que cette règle d’or vous accompagne tout au long de votre vie, tel est le vœu que je forme pour chacun de vous, en cette fête de l’Épiphanie. Amen.

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