Homélie du 1 mai 2020 - Vendredi de la 3e semaine de Pâques - Saint Joseph

L’arbre de la sagesse

par

fr. Jean-Michel Maldamé

« Il n’y a que le bois mort pour dire que le printemps n’existe pas ! » Temps de confinement ! C’est-à-dire temps d’épreuve. Nous le vivons chaque jour ici à la célébration de l’eucharistie, où l’église ne remplit plus pleinement son rôle d’accueil pour tous. Plus le temps passe et plus les jours pèsent, car nous sommes en manque de ce qui fait l’humanité humaine, la présence des personnes dans la diversité des rencontres possibles, désirées et même redoutées. La présence humaine est en effet un trésor. En être privé est source de souffrance. Mais aussi corrélativement, les conditions de travail changent et ce n’est pas sans susciter une inquiétude pour l’avenir. Dans ce contexte, j’ose vous adresser une parole d’espérance. Je le ferai à partir d’une image, celle de l’arbre : comme dans le livre de Jonas (4, 1-11), l’arbre au nom inconnu, devenu messager de Dieu.

Je suis donc confiné. Le télétravail ne remplace pas l’absence de vraie rencontre ; les conversations au téléphone ne valent pas l’écoute et le regard sur le visage d’autrui. Confiné, j’ai la chance d’avoir le jardin du couvent où marcher. Je regarde les arbres. Je découvre au second plan un arbre qui se singularise. Tous les autres ont bourgeonné ; il y a des feuilles et l’on sent monter la vie dans l’espace conquis. Mais cet arbre n’a rien. Je m’approche. Je regarde une branche basse à ma hauteur. Je touche une brindille. Elle est sèche et se brise dans mes doigts qui la palpent, mais je constate que la branche en son entier est souple. L’arbre s’est-il endormi ? Je retourne le voir régulièrement. Tandis que les feuilles poussent à l’entour, rien ne change pour lui. C’est le silence. Mais voilà, un bourgeon paraît sur la branche et le lendemain, en levant les yeux, je vois poindre bourgeons et petites feuilles. Ainsi la vie qui se taisait paraît enfin. « Il n’y a que le bois mort pour dire que le printemps n’existe pas. »

Cet arbre est pour moi comme il le fut pour Jonas¹ : il dit quelque chose de la volonté de Dieu. Il me dit quelque chose sur le confinement. Pour beaucoup parmi nous, le confinement est un temps de silence et de solitude. Sitôt passé le temps où on est heureux de rattraper le temps perdu, les jours deviennent du vide où l’amertume y est tapie. Sitôt passé le temps où l’on est heureux d’être chez soi, vient le temps où les murs sont des cloisons qui séparent. Sitôt passé le temps d’être heureux ensemble, vient le temps où les défauts sont des charges lourdes à porter et les impatiences véhémentes. Sitôt passé le temps de la méditation paisible, le passé revient avec ses blessures, offenses et déchirures. Sitôt trouvé un équilibre de travail, vient le temps du souci face à l’inconnu d’un avenir social, économique, professionnel… Bref, vient le temps du désert à traverser.

Plutôt que d’accuser, plutôt que de redire que Dieu nous punit, plutôt que de pleurer sur ce qui ne reviendra plus, l’arbre qui s’éveille laborieusement nous enseigne que la vie est d’autant plus belle qu’elle est racinée profond. Ainsi le temps du confinement qui nous pèse doit être celui où se creuse le désir. Notre participation pleine et entière au Repas du Seigneur sera riche, puisque nous avons creusé notre désir et raciné plus profond que jadis dans nos ferveurs au temps où la vie souriait.

Il est une phrase énigmatique dans l’évangile, Jésus nous dit qu’un brin de foi permet de planter les arbres dans la mer (Lc 17, 6). En temps de confinement, plantons l’arbre de la foi dans l’ingratitude et dans la solitude. Plantons ce messager de l’espérance dans l’amertume des flots. Plantons ce messager de la patience dans la tempête. Enracinons le message reçu de Dieu dans l’âpreté du combat. Ainsi nous témoignerons que s’il est vrai qu’« il n’y a que le bois mort pour dire que le printemps n’existe pas », il est encore plus vrai de dire que le Christ est vraiment ressuscité et qu’il se donne à nous dans le sacrement de son amour.

¹ Le nom de l’arbre est une énigme ; la traduction habituelle (ricin) est une concession à la facilité. Pour les Pères de l’Église, cet arbre mystérieux annonce désigne le Christ ou le bois de la croix)