Le berger et la porte


Frères et sœurs, en ce dimanche du bon Pasteur, nous aimons entendre les paroles de Jésus dans le chapitre 10 de l’Évangile de Jean. La liturgie ne nous fait pas lire le passage entier, seulement les versets 1 à 10, mais la suite du texte est tout aussi belle, à commencer par le verset 11 qui dit, juste après : « Je suis le bon berger, le bon berger donne sa vie pour ses brebis. » Nous aimons ces paroles, car elles nous rappellent que nous ne sommes pas un troupeau sans berger, un peuple sans chef, une Église sans protection. « Sois sans crainte, petit troupeau, car il a plu au Père de vous donner le royaume », dit Jésus dans un autre Évangile (Lc 12, 32). Et nous venons d’entendre dans l’Épître de Pierre : « Vous étiez errants comme des brebis, mais à présent vous êtes retournés vers votre berger, le gardien de vos âmes » (1 P 2, 25).
Nous avons un berger. Quel soulagement ! Alors que de grands loups, dans le monde, montrent leurs crocs et leurs canons, et que des prédateurs déguisés en brebis ont trahi et blessé l’Église, comme il nous est bon de nous souvenir que le peuple de Dieu n’est pas livré à lui-même, mais accompagné et guidé. Oui, les temps sont durs, mais le Christ en personne marche à notre tête. C’est lui, frères et sœurs, qui nous rassemble et nous unit ce matin, qui nous fait entendre sa voix, qui nous donne sa vie. Et tout ce qui nous inquiète, nous trouble, nous blesse, cailloux et épines sur le chemin, ne l’empêchera pas de nous conduire.
Alors mettons-nous bien à l’écoute de sa voix, afin que tout à l’heure, en sortant de cette messe, nos cœurs ne recommencent pas à trembler, à douter, à récriminer inutilement. Approprions-nous bien ce qu’il nous dit. Laissons de côté la voix des voleurs et des brigands, les discours prétentieux, agressifs ou anxieux de ceux qui trouvent toujours à redire, mais qui, au fond, n’ont rien à dire. Écoutons la Parole du Christ qui veut nous instruire. Et pour cela, si vous le voulez, regardons le texte de plus près. Il nous réserve deux surprises.
La première surprise, c’est que dans ce passage précis, il n’a pas été dit : « Je suis le bon berger », comme il est écrit dans les versets suivants. Ce que Jésus nous dit deux fois ici, c’est : « Je suis la porte. » C’est différent, et complémentaire. Car si l’image du berger évoque une présence visible, aimante, protectrice, celle de la porte évoque plutôt un passage, une ouverture béante, une trouée vers l’inconnu. En tant que porte, Jésus nous invite à franchir un seuil, à avancer. Il est la voie sur laquelle nous devons nous engager, le chemin que nous devons prendre, sans savoir peut-être où cela nous mène, et malgré nos craintes d’aller ailleurs, de changer de lieu, de déménager.
Vous avez déjà vu un groupe de moutons devant une porte par laquelle on veut les faire passer ? Pas facile ! Ils hésitent, ils résistent, ils courent dans tous les sens. Pourtant, ils doivent aller vers l’inconnu, et ils finiront par y aller. Nous sommes comme eux. Chacun de nous est habité par des peurs, des réticences. Nous craignons les changements à venir, dans le monde et aussi dans l’Église. On ne sait plus où on va, se dit-on parfois. Mais faut-il nécessairement le savoir ? Le Seigneur ne nous le demande pas : lui le sait. Ce qu’il nous demande, c’est d’avancer avec confiance, en Lui.
C’est ainsi qu’il est la porte, la voie ouverte, pas le chef impérieux que certains imaginent. Jésus est le bon berger, celui qui s’efface en donnant sa vie pour ses brebis. Il ne leur barre pas le passage : il est le passage qu’il les encourage à franchir. Il ne les convoque pas durement, il les invite avec douceur. Il les appelle par leur nom, kat’onoma, précise le texte grec, comme pour rassurer chacune d’elles et l’aider à faire le pas. C’est aujourd’hui la journée des vocations : ceux qui parmi nous se sentent appelés, qu’ils écoutent la voix du bon Berger, et qu’ils franchissent la porte !
Mais ici, deuxième surprise : c’est que par cette porte, d’après le texte, il ne s’agit pas pour le Seigneur à faire entrer les brebis dans la bergerie, pour y faire nombre et constituer un gros troupeau, mais plutôt de les en faire sortir, pour leur permettre d’aller et venir. Ici encore, le texte grec est clair : « Ses brebis, il les appelle et les conduit dehors (ex-agei). Quand il les a poussées dehors (ek-balè), il marche devant elles et elles le suivent. » Et plus loin : celui qui a franchi la porte « entrera et sortira (ex-eleusetai) et trouvera sa pâture ». Trois fois le préfixe ex, « au-dehors ».
Quelle image forte, n’est-ce pas, d’une Église généreuse, où l’on respire la liberté des enfants de Dieu. D’une Église courageuse, qui ne se scandalise pas d’être parfois rejetée, mais qui aime, y compris ses ennemis. D’une Église audacieuse, missionnaire. Pas une citadelle assiégée, mais une bergerie ouverte et heureuse, d’où Jésus fait sortir le troupeau pour l’emmener vers de nouveaux pâturages.
À ce sujet notons que l’Évangile précise : « Et le portier lui ouvre. » Tel est, n’est-ce pas, le rôle de nos évêques, et notamment du premier d’entre eux. Combien de fois le pape François nous a fait ce signe, ce geste de la main vers un ailleurs, vers ceux qui sont loin, vers de nouveaux chemins ! Allons-nous suivre ce geste, ou bien rester sur place ? Oserons-nous, chacun, être pour d’autres hommes des ouvreurs de portes vers la liberté, la vie en abondance ?
Le jour de la Pentecôte, comme nous rappelait la première lecture, Pierre a prêché dans la force de l’Esprit. Depuis deux mille ans, ses successeurs et l’Église tout entière marchent dans ses pas. En convoquant le concile, saint Jean XXIII appelait sur elle une nouvelle Pentecôte. Eh bien nous avons besoin, encore et encore, frères et sœurs, de ce vent puissant et divin. Par le Christ qui est la porte, qu’il s’engouffre et nous entraîne ! Viens, Esprit Saint, vivifie ton Église sainte, et renouvelle le cœur de tes fidèles. Amen.

