Le chant de l’Ancien


Silence de chaux – blanche – et de myrte – odorant –
Assis au rebord du lit, un vieillard se balance d’avant en arrière, ses yeux clos sont deux fontaines de lumière et de sa bouche entr’ouverte coule une étrange mélopée pareille à celles qu’il chantait dans sa jeunesse dans le parvis d’un Temple aujourd’hui disparu.
Silence de chaux – blanche – et de myrte – odorant –
assis près du lit un homme jeune calame et papyrus en main tente de capturer les mystérieuses paroles qui coulent de la bouche de l’Ancien: feuillage de mots grecs bruissant sur la ramure hébraïque des phrases.
Dans le silence blanc et odorant la mélopée rauque de l’Ancien, venant d’au-delà du temps résonne de l’écho du premier instant du monde, quand tout vint à l’existence:
Au commencement Dieu créa le ciel et la terre (Gn 1, 1)
Au commencement était le Verbe, et le Verbe était avec Dieu et le Verbe était Dieu
Dieu dit: «Que la lumière soit» et la lumière fut (Gn 1, 3)
Tout fut par Lui et sans Lui rien ne fut? Ce qui fut en Lui était la vie et la vie était la lumière des hommes
et Dieu sépara la lumière de la ténèbre (Gn 1, 4) et la lumière brille dans la ténèbre et la ténèbre ne l’a pas saisie
et Dieu dit: «Faisons l’homme à notre image comme notre ressemblance» (Gn 1, 26)
et surgit dans la mémoire et le chant de l’Ancien, celui qui fut son premier guide au-delà du Jourdain, l’ami de l’Époux, voix criant dans le désert: «Voici l’Agneau de Dieu» (Jn 3, 29; Jn 1, 23; Jn 1, 36)
il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom Jean, il vint pour un témoignage afin qu’il témoigne à la lumière et que tous crussent par lui
et la mémoire de la première rencontre avec l’Agneau désigné, de ses premiers mots submerge l’Ancien:
Maître où demeures-tu? Venez et vous verrez. Et ils demeurèrent avec lui ce jour-là (Jn 1, 38-39) premier shabbat béni à la lumière du Messie, dans l’amour de l’Époux enfin venu à la Noce
Et le Verbe était la lumière qui illumine tout homme venant dans le monde
Et Il est venu chez lui et les siens ne l’ont pas accueilli
Il n’était pas là quand sa mère le mit au monde dans la nuit de Bethléem
Mais il était là quand elle le manifesta à Cana de Galilée au commencement des signes (cf Jn 2)
Il était là couché en son sein quand il donna la bouché nuptiale à Judas (cf Jn, 13; 26)
Il était là près du feu dans la cour d’Anne le Grand Prêtre quand Simon-Pierre le renia (Jn 18, 12-27)
Il était là devant le prétoire de Pilate quand il le désigna: «Voici l’Homme» icône de l’humanité perdue
Il était là près de la Mère au pied de Sa Croix et là il fut engendré de nouveau (Jn 3, 3)
«Voici ta mère» et sur lui coula l’eau et le sang du côté transpercé: au matin du premier jour devant le linceul dans le tombeau «Il vit et il crut»> (Jn 19, 28; Jn 20, 8)
De ce mystère inouï il n’a cessé de vivre, de témoigner appelant tout homme à renaître
Mais à tous ceux qui L’ont accueilli Il a donné pouvoir de devenir enfant de Dieu, à ceux qui croient en Son Nom qui non de sang ni d’un vouloir de chair, ni d’un vouloir de mâle mais de Dieu ont été engendré .
Engendré de Dieu, lui, l’Ancien, il l’est devenu en se laissant enfanter par celle qui fut la mère de Jésus, en renaissant de l’eau et de l’Esprit (Jn 3, 5) remis par Jésus mourant, en se nourrissant de la chair et du sang de Jésus ressuscité, vraie nourriture et vraie boisson pour la vie éternelle (Jn 6, 55) devenu semblable à Lui il a connu l’indicible mystère de Son Maître et Seigneur: et la voix de l’Ancien gronde comme le tonnerre entendu par Israël au Sinaï, le calame devient incandescent dans la main du scribe et sur le papyrus trois mots claquent comme des silex faisant jaillir des gerbes de feu:
le Verbe chair est devenu
L’Ancien tout entier transfiguré dans la mémoire de la face du Bien Aimé exulte:
et nous avons contemplé Sa gloire qu’Il tient de Son Père comme Fils unique plein de grâce et de vérité
Et la vague du chant dans un ultime accord meurt sur la plage du silence blanc et odorant
Nul n’a jamais vu Dieu l’unique engendré de Dieu qui est dans le sein du Père Lui l’a fait connaître
Silence de chaux – blanche – et de myrte – odorant –
allongé, le vieillard repose baigné de paix et de lumière: il a livré l’ultime parole de son Évangile
il peut partir vers l’ultime rencontre, aurore du jour unique où sur la rive du lac Son Seigneur l’attend «près d’un feu de braise avec du poisson et du pain» (Jn 21, 5)
Silence de chaux – blanche – et de myrte – odorant –
Lentement, le scribe referme le cahier de papyrus adorant et embrassant ces mots de grâce et de vérité
légués par celui qui a entendu, qui a vu de ses yeux, touché de ses mains le Verbe de Vie (cf 1 Jn 1, 1)
Trésor transmis à l’Église pour que tout homme qui croira dans le Nom de Jésus reçoive « pouvoir de devenir enfant de Dieu »
Et voici qu’aujourd’hui dans le silence blanc de givre et odorant de sapin de ce matin de Noël
le diacre a pris sur l’autel le cahier de papyrus tant de fois recopié au long des siècles
Et sa voix a donné chair et vie aux mots de grâce et de vérité de l’Ancien qui a entendu, vu de ses yeux et touché de ses mains le Verbe de Vie
Aujourd’hui le Verbe vient chez lui dans notre monde
Aujourd’hui le Verbe vient chez les siens en chacun d’entre nous
Si nous l’accueillons dans la foi, alors aujourd’hui Noël sera Noël
ce jour où Dieu naît homme parmi les hommes
ce jour où l’homme renaît enfant de Dieu.

