Lisant et relisant ces derniers jour les textes de cette liturgie du Jour de Pâques, je me suis arrêté tout d’abord sur le début de cet évangile qui vient d’être proclamé.
Au petit matin du premier jour de la semaine, alors qu’il fait encore nuit, Marie Madeleine arrive au tombeau. Saint Jean, vous le savez, accorde une grande importance à la nuit; deux exemples seulement: c’est de nuit que Nicodème vient rencontrer Jésus; et lorsque Judas quitte la table de la cène, il faisait nuit. Ici la nuit enfonce dans les ténèbres; là elle prépare l’ouverture à la Lumière.
Marie voit la pierre enlevée; bouleversée, elle court alors vers Pierre et le disciple bien-aimé pour leur dire son inquiétude: «On a enlevé le Seigneur de son tombeau , et nous ne savons pas où on l’a mis.»
Voilà ce qui m’a intrigué. Je me suis demandé s’il ne fallait pas reconnaître ici un procédé assez fréquent dans le quatrième évangile, celui de l’ambivalence de certaines paroles ou expressions à double sens, comme par exemple l’eau vive pour la Samaritaine, le naître à nouveau pour Nicodème, le repos du sommeil pour Lazare.
Certes, ce que dit Marie-Madeleine, ce qu’elle répètera aux anges et au jardinier, pris au pied de la lettre, exprime ce qu’elle imagine spontanément pour expliquer le tombeau vide: un enlèvement de cadavre, comme les grands prêtres chercheront d’ailleurs à en accuser des disciples (cf. Mt 28,11-15).
Mais, entendues à un autre niveau, ces paroles disent aussi une vérité d’un autre ordre: le mystère même de l’événement de la résurrection , sur lequel elles peuvent peut-être apporter quelque lumière à notre profession de foi.
« On a enlevé le Seigneur de son tombeau»
Cet inconnu et indéfini, c’est Dieu lui-même – inconnaissable et indéfinissable! – qui a « enlevé» Jésus, qui l’a «relevé» d’entre les morts: c’est le sens du verbe «ressusciter» dans le dernier verset de l’évangile. N’est-ce pas le fait de cet «enlèvement» qui provoquera l’élan de foi du disciple bien-aimé à la vue du tombeau vide?
«Et nous ne savons pas où on l’a mis.»
Où est Jésus ressuscité? Nous confessons: «Il monta au ciel; il est assis à la droite du Père.» Le «ciel» de Dieu n’est localisable, situé en un endroit quelconque de l’univers, et le trône à la droite de Dieu n’est qu’une métaphore pour dire que le Fils de Dieu avec son humanité est «passé» dans le monde de Dieu. «Je vais vers mon Père et votre Père.»
Paul écrira aux Corinthiens (1 Cor 5,42-44): «Ainsi en va-t-il de la résurrection: on sème de la corruption, il ressuscite de l’incorruptible (…) on sème un corps psychique, il ressuscite un corps spirituel.»
Le Christ est ressuscité et son corps «spirituel» n’est pas «matériel», mais Il a pu se manifester pour «apparaître», être là soudain et, avant d’ailleurs de disparaître aussi soudainement, «se donner à voir», à toucher, à ses apôtres et ses disciples, pour partager parfois un moment de vie, afin d’affermir leur foi pour devenir les témoins de sa résurrection, comme le rappelle Pierre dans sa prédication de Césarée.
Quand nous confessons notre foi en «la résurrection de la chair», nous ne disons pas que nous retrouverons cette chair physique de notre corps charnel, mais nous affirmons notre foi et notre espérance en la transmutation future de notre humanité singulière transfigurée, dotée par Dieu d’un corps «spirituel.» Un «corps spirituel!» Voilà qui est bien de l’ordre du Mystère et propre à décourager – fort heureusement! – toutes les fantaisies qui peuvent tenter notre imagination et du même coup rendre plus «incrédible» même pour beaucoup de chrétiens, ce mystère – il est vrai «incroyable» – de la résurrection de Jésus qui sera aussi la nôtre, qui est déjà la nôtre.
Saint Paul en témoigne effet, dans l’épître aux Romains cette nuit, dans l’épître aux Colossiens aujourd’hui: dès maintenant, par le baptême, nous sommes morts et ressuscités avec le Christ qui vit en nous et notre vie est «cachée avec lui en Dieu.» Par la puissance de sa résurrection, nous avons été «relevés» avec lui. C’est pourquoi la grande Tradition liturgique de l’Église nous invite pendant cet octave de Pâques à prier debout!
Frères et Sœurs, rappelons-nous que nous reçu les arrhes et le germe de cette vie nouvelle et éternelle que nous a acquis la Pâque du Christ, sa mort et sa résurrection que nous célébrons dans l’eucharistie, nourriture du pèlerinage de notre vie chrétienne de la terre, gage de notre espérance jusqu’à notre mort corporelle dans le Christ: «Aujourd’hui avec moi tu seras dans le paradis» et jusqu’à l’accomplissement plénier du Dernier Jour: «Quand paraîtra le Christ, votre vie, alors vous aussi, vous paraîtrez avec lui en pleine gloire.»
Amen! Alleluia!