Homélie du 24 juillet 2022 - 17e Dimanche du T. O.

Le commandement de prier

par

fr. Emmanuel Perrier

« Seigneur, enseigne-nous à prier », demande un disciple à Jésus. Apprendre à prier ? Faut-il apprendre à prier ? Ai-je besoin d’apprendre à prier ? Pour le petit enfant, cela est entendu bien sûr, puisqu’il ne connaît pas les mots, pas les gestes, pas les moments et pas les intentions. Et pour les disciples de Jésus, cela était entendu bien sûr, puisqu’ils n’avaient pas d’évangile où lire l’enseignement du Christ sur la prière. Mais pour nous, qui ne sommes ni petit enfant ni ignorant de l’évangile, avons-nous besoin d’apprendre à prier ?
La réponse du Christ ne se fait pas attendre : « Quiconque demande reçoit, qui cherche trouve, et à qui frappe on ouvrira. » Autrement dit : si tu demandes et ne reçois pas, si tu cherches et ne trouves pas, si tu frappes sans que la porte s’ouvre, alors tu ne sais pas prier. Et tu as besoin d’apprendre. Saint Jacques nous en avertit : « Vous demandez et ne recevez pas parce que vous demandez mal » (Jc 4, 3). C’est d’ailleurs la raison principale pour laquelle on se décourage à force de demander sans recevoir, et que l’on perd goût pour la prière parce que l’on n’en voit pas l’efficacité. Au contraire, ceux qui prient bien reçoivent parce que, le Christ le confiera un autre jour aux disciples, « Dieu fait prompte justice à ceux qui crient vers lui » (Lc 18, 8).

Alors, qu’est-ce qui ne va pas dans notre prière ? Qu’est-ce que je fais mal pour n’être pas exaucé ? On ne va pas se lancer dans un cours maintenant. Mais peut-être pourrait-on demander au Seigneur une première leçon, un premier enseignement qui aille à l’essentiel. Alors, voici le thème : nous ne prions pas parce qu’on en a besoin ou envie, mais nous prions parce que c’est un commandement. Le Christ nous a commandé de prier : « Demandez, cherchez, frappez. » Il ne dit pas : « Si vous demandez, si vous cherchez, si vous frappez. » Non, il donne un ordre. Et ailleurs il précise : « Il faut prier sans cesse et sans se lasser » (Lc 18, 1), et il faut même prier pour ses ennemis : « Priez pour ceux qui vous persécutent et vous calomnient » (Mt 5, 44). Saint Paul dit la même chose : « Priez sans vous arrêter » (1 Th 5, 17). Et saint Jacques, à nouveau : « Priez les uns pour les autres, pour être sauvés » (Jc 5, 16). Voici un enseignement tout à fait impressionnant et original : la prière chrétienne est une prière commandée. On ne trouve rien de tel dans l’Ancien Testament, c’est vraiment une nouveauté. Allons plus loin. Si l’on peut parler du christianisme comme d’une religion, ce ne peut être qu’en raison du commandement de la prière : la prière est notre religion.

La prière est notre religion. Elle ne fait pas simplement partie de notre religion, comme c’est le cas dans toutes les religions humaines. Non, la prière constitue notre religion chrétienne, elle est ce qui établit le chrétien face à Dieu, le Père de notre Seigneur Jésus-Christ. Il faut pour le comprendre rassembler les quatre composantes de la prière : elle est une demande élevée vers Dieu, elle naît de la charité, elle sait ce qu’elle veut obtenir de Dieu, et finalement elle l’obtient.
La prière est d’abord une demande élevée vers Dieu. Jésus prend l’image de cet homme qui va frapper à la porte d’un ami parce qu’il a besoin de son ami. Cet homme doit sortir de chez lui parce qu’il dépend de son ami. La prière nous sort de nous-mêmes pour nous placer face à Dieu. Celui qui pense être autosuffisant ne prie pas, celui que l’amitié de Dieu importune ou indiffère ne prie pas, celui qui ne fait pas l’effort de sortir de lui-même pour aller à Dieu ne prie pas. Pour prier, il faut donc croire que Dieu est notre Dieu, que Dieu nous veut du bien et que Dieu est accessible à nos demandes. Abraham dans son intercession pour la ville de Sodome est l’exemple de cette triple foi.
La deuxième composante de la prière est qu’elle naît de la charité. La charité est un mouvement que Dieu suscite dans notre âme pour l’aimer et aimer notre prochain. La charité fait donc naître un désir du bien, à la fois du bien qu’est Dieu et du bien pour notre prochain. C’est pourquoi Jésus prend l’image d’un homme qui va déranger son ami de nuit pour nourrir celui qui vient d’arriver de voyage. La prière est l’interprète de la charité, elle est une demande vive et instante parce qu’un désir du bien la travaille. Notre prière doit toujours s’appuyer sur cette affection intérieure qui nous pousse vers Dieu et le prochain. C’est pourquoi l’on doit prier pour soi, mais aussi pour ceux qui nous sont proches, et encore pour ceux que Dieu met sur notre chemin et dont on voit que Dieu les appelle, et même pour ses ennemis ou ses persécuteurs, voire pour ses bourreaux.
La troisième composante de la prière est qu’il faut avoir une demande d’un bien précis. Dans la parabole de Jésus, l’homme ne va pas réveiller son ami sans savoir quel bien il va lui demander. Il faut donc que notre prière ait un contenu concret. Dieu n’a que faire de nos prières pour des causes abstraites où on lui explique comment il devrait mener le monde. On prie Dieu non pas pour lui donner un conseil mais pour lui adresser une demande. La différence se repère à deux signes. D’une part, on demande pour un prochain et non pour un lointain. D’autre part, ce qu’on demande pour notre prochain c’est d’abord le bien parfait de la béatitude éternelle, et en second cette demande particulière pour l’aider sur le chemin de la béatitude éternelle. Pour être droite, une prière doit toujours viser le ciel, soit directement, soit indirectement.
Enfin, la quatrième composante de la prière est qu’elle obtient ce qu’elle demande. La prière change donc le monde. Attention : la prière ne change pas Dieu, elle change le monde que Dieu a voulu changer avec notre prière. Abraham n’a pas changé Dieu, mais il a pris part à la patience de Dieu pour Sodome, il a supplié pour ces prochains qu’il voyait courir à leur perdition, et Dieu a patienté. Dieu pourrait donner ses bienfaits aux hommes sans nous, mais il a voulu nous associer à ce qu’il veut donner en faisant jaillir dans notre cœur le désir que ce qu’il veut donner s’accomplisse. « Que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel. » Et c’est pourquoi toute prière droite est exaucée : « Demandez et l’on vous donnera, cherchez et vous trouverez, frappez et l’on vous ouvrira. »

C’est ainsi que la prière est notre religion : elle commence avec la charité qui fait naître dans notre cœur des désirs pour Dieu et pour le prochain ; elle s’exprime dans toutes les demandes précises que nous faisons pour nous-mêmes et notre prochain, en vue de la béatitude éternelle ; elle nous fait sortir de nous-mêmes pour aller demander à Dieu, instamment, sans relâche ; enfin, par tout ce qu’elle obtient de Dieu, notre prière change le monde en vue de sauver ceux qui croient.
Voilà pourquoi la première leçon que nous avons besoin d’apprendre sur la prière est qu’elle est un commandement. Il faut prier, il faut prier dès que l’amour nous presse pour le prochain, il faut aller demander à Dieu sans répit dès que l’occasion se présente sans crainte de le déranger, parce que c’est ainsi que Dieu veut que nous changions le monde, en lui demandant ce qu’il veut donner par notre prière.
« Seigneur enseigne-nous à prier », voilà donc ce que nous pouvons lui demander chaque jour, pour transformer tous ces mouvements d’affection pour notre prochain, jaillissant de charité, en demande adressée à Dieu qu’il leur accorde le bien dont ils ont besoin, à commencer par la vie éternelle.