Homélie du 5 mars 2000 - 9e DO

« Le huitième jour »

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Il y a bien longtemps, à la cour céleste, le roi réunit en conseil ses nombreux sujets pour choisir avec eux un jour de fête. Le jour à choisir, en effet, n’était pas pour une fête ordinaire, mais pour les noces de son propre fils. L’annonce de cette assemblée provoqua parmi les anges une immense joie, car ils s’ennuyaient un peu à la cour, engoncée dans son étiquette, et souhaitaient chanter un chant un peu nouveau.

Le premier candidat à s’approcher était un très vieux personnage, un homme vénérable à la barbe fleurie, au regard apaisé mais un peu triste. – «Qui es-tu, lui demanda le roi? – Je suis, répondit-il, le septième jour. Je suis le sabbat que tu as béni et consacré il y a de cela bien longtemps, pour être un jour de repos et de prière. Je suis le rappel de ton repos après les six jours de la création, et le signe de la libération de ton peuple de la servitude d’Égypte. Quand vient mon jour, on ne fait rien, on ne doit ni travailler ni pécher, mais entrer dans la foi et dans ton propre repos. Tu m’as toi-même institué comme signe de l’alliance avec Toi, et sans me vanter, Ô mon roi, je ne pense pas que tu puisse trouver, pour les noces de ton Fils, un meilleur jour que moi.

– Tu as en effet, lui répondit le roi, beaucoup d’avantages en ta faveur, mais tu comprends, Septième jour: je dois, moi, travailler tous les jours. Et puis n’oublie pas que je t’ai déjà sanctifié il y bien longtemps; or mes gens veulent un jour nouveau. D’ailleurs, comment pourrais-je célébrer en ton jour les noces de mon fils qui, solennellement, s’est déclaré ton maître, le maître du sabbat. Enfin avoue, cher sabbat, que ton repos n’est plus tellement observé: regarde tous ces gens qui travaillent les jours chômés. Et puis, ajoutèrent les anges, angoissés de ne plus pouvoir jouer de leurs instruments, pardonne-nous, mais ne rien faire, pour un jour de fête, c’est un peu austère, or nous voulons, nous, un jour d’allégresse et de joie».

Le vieux sabbat s’en alla tout triste, et l’on présenta un autre candidat. Celui-là était tout fringant, beau et jeune, pimpant et tout de blanc vêtu. À son arrivée, les anges, dit-on, se mirent à jouer du Mozart. – «Qui es-tu, lui demanda le Roi? Je suis, répondit-il fièrement, le premier jour. Je suis le premier jour de la création, le jour du soleil, le jour de la lumière qui luit dans les ténèbres, le jour du Verbe qui éclaire tout homme. C’est moi, surtout, que le Christ a choisi pour sa résurrection, cette nouvelle création, moi encore qu’il a choisi pour apparaître à ses disciples en Gaulée. Sans parler du saint Esprit qui m’a aussi choisi pour descendre sur les apôtres. Je suis par excellence le jour de la fête et le jour de l’amour, je suis le jour de la création et de la re-création, le jour de l’action de grâce».

Le roi fut séduit par la beauté de ce jour. Mais après mûre réflexion, après avoir consulté ses nombreux conseillers, il lui dit: «Écoute, premier jour, tu as certes beaucoup d’atouts. Mais pour tout te dire, j’aurais aimé quelque chose d’encore plus nouveau: Tu comprends, Septième jour, Premier jour, tout cela a un air de déjà vu. D’autre part, je souhaiterais pour une telle fête un jour qui s’inscrive un peu dans la durée, un jour plus long. Or tu m’a l’air un peu trop jeune, un peu court. D’ailleurs, en fait de premier jour, avoue que tu as déjà été repoussé, dans les calendriers modernes, en fin de semaine. Et puis la fête c’est bien, mais regarde, mes anges se déchaînent sur leurs instruments et font un bruit d’enfer. J’aurais préféré quelque chose de plus calme, de plus reposant», conclut le roi, qui commençait à désespérer de trouver, pour les noces tant attendues de son fils, un jour qui convienne.

Tout à coup, les anges cessèrent de jouer, et un grand silence se fit dans l’assemblée. L’on vit alors s’avancer, poussé par les anges, car il était trop modeste pour se proposer de lui-même, un troisième candidat. Son visage, doux et humble, rappelait étrangement celui du septième et du premier jours. Son âge était indéfinissable: il semblait à la fois très jeune et très vieux. «À qui ai-je l’honneur, lui demanda le roi? Je suis, répondit l’inconnu, le huitième jour. Mais le huitième jour n’existe pas, s’exclamèrent les anges en consultant leurs agendas. Je reconnais, s’excusa le huitième jour, que je ne figure pas dans les calendriers officiels, mais c’est parce que je suis un jour hors du temps, le jour de la lumière sans déclin qu’on on peut toujours fêter, car je n’ai ni commencement ni fin. Je suis le jour et du repos et de la fête, l’accomplissement du septième et le prolongement du premier, le jour de l’espérance, qui inaugure les cieux nouveaux et la terre nouvelle, le temps des huit béatitudes, où il n’y a plus ni années, ni mois, ni heures».

Le Roi fut charmé par les paroles de ce huitième jour et le choisit immédiatement pour être celui des noces de son fils. On décida même que tous les huitièmes jours, on célébrerait solennellement au ciel et sur la terre les noces de l’Agneau et de l’Épouse… que vous êtes. Depuis lors, les anges chantent un chant toujours nouveau qui, de temps à autres, fait descendre sur terre quelques échos des mélodies divines. C’est le chant de l’Esprit et de l’Épouse qui disent: «viens, que vienne ta grâce, que ce monde passe, et tu seras tout en tous». Amen.