Homélie du 29 avril 2007 - 4e DP

« Le Père et moi sommes UN » (Jean 10, 30)

par

fr. Jean-Hugo Tisin

L’image du Berger s’impose d’elle-même. Aussi vieille que les plus vieilles cultures du monde. Tous les potentats, rois et chefs de guerre ont contribué, pendant des millénaires, à donner corps et consistance à ce symbole: Père nourricier du peuple, Providence éclairée prodigue de tous les biens, ne satisfait-il pas tous nos désirs? L’image s’est tellement imposée dans l’histoire des peuples de l’Orient que l’écriture elle-même a su l’inscrire dans sa vision du Dieu unique guidant son peuple, du Roi-Messie et de l’Homme. Mais attention! Le regard des prophètes fut incisif! Leur critique fut souvent acerbe et ce sont eux qui dénoncèrent les exactions des bergers mercenaires, voleurs et brigands qu’étaient certains de leurs chefs et de leurs rois. C’est précisément dans cette lumière crue projetée par l’Esprit prophétique qu’il faut tenter de comprendre notre évangile d’aujourd’hui. Une transformation radicale s’est opérée dans l’interprétation de l’image et de la fameuse triade chère à la tradition juive transmise par l’écriture: Dieu – le Roi-Messie, figure du Berger de l’Espérance et l’Homme. Tentons de ressaisir quelques lignes d’interprétation de l’évangile du Berger en les reconnaissant dans la perspective de l’évangile selon saint Jean.

En premier lieu, quelle est la nature de l’événement dramatique décrit ici opposant quelques autorités juives et Jésus de Nazareth? C’est un tournant, et même un passage crucial au sens très précis de ces mots. L’évangile du Messie Berger s’accomplit par la révélation: «Moi et le Père sommes Un». Reconnue et violemment dénoncée comme blasphème, elle a pour conséquence de livrer Jésus à la lapidation. Mais son Heure n’est pas advenue. Jésus s’esquive et se réfugie dans le désert. Vous savez que l’évangéliste évoque la succession des événements comme un procès, le procès de l’avènement de la vérité, sa mise au jour face à la ténèbre du péché, de la mort et de l’incroyance. Aujourd’hui, le procès commence. Il trouvera son issue dans l’Heure de la glorification de la croix. La certitude du procès gagné s’affirmera lors de l’ultime repas du Jeudi-Saint où, de nouveau, la vérité du «Moi et le Père nous sommes un» sera proclamée dans toute sa plénitude. Le symbole et la parabole du Berger sont destinés à nous faire accéder à cette vérité: Jésus est le Messie-Berger. Il se révèle Fils de Dieu. Lui, en son mystère révélé et son Père sont Un. La trame de cette révélation est le Mystère Pascal dévoilé dans la Résurrection du Christ.

Ensuite, quand l’événement eut-il lieu? Quand et où? Jean note toujours soigneusement les événements dans le temps sacral des fêtes juives. L’enseignement mérite d’être déchiffré.

La fête d’hiver, Hanoukha à symbolique solaire commémore un commencement dans la signification du culte. C’est le jour où fut purifié le temple, où s’inaugura le culte véritable à l’image de la construction du tabernacle de l’Exode. Fête de commencement, de renouvellement, fête de la Lumière commençante et triomphante, fête d’onction. Fête aussi où un nouvel enseignement sur le temple et le culte est délivré. Le temple est le lieu d’exaltation de la Présence de Dieu parmi son peuple. Dans la révélation du Messie qui se dessaisit de sa vie pour nous la conférer, dans l’affirmation du Messie-Agneau immolé, notre Pâque inauguratrice, quel est le sens nouveau de l’habitation divine en nous? Le Temple de son Corps ressuscité, quel est-il? N’est-il pas dévoilé dans l’unité d’amour du Père et du Fils? N’est-il pas annoncé dans le don amoureux et gracieux que Christ nous accorde? «Moi en eux dit Christ, en eux comme Toi, Père, en Moi, pour parvenir à l’unité parfaite».

Enfin, quel lien y a-t-il entre cette préfiguration de notre libération intérieure et la Pâque du Christ? Quel est le sens du temps symbolique du commencement de Hanoukha à la plénitude de Pâques? De Hanoukha à Pâques, alors que la Lumière grandit, dans la Vie du Christ, ce sont les ténèbres qui paraissent l’emporter. Hanoukha annonce la Pâque et l’évangéliste, en filigrane indique le vrai sens de la fête: la présence pascale de l’Agneau immolé et la révélation de la vie éternelle dans la relation d’unité à son Père. Le symbolisme s’est approfondi. La figure centrale, c’est l’Agneau pascal et l’événement inaugurateur est la Résurrection. L’évangile du Jeudi-Saint accomplit en plénitude l’enseignement du Christ Berger et son peuple.

Le Berger non seulement nous connaît dans notre être intime et nous révèle en vue de la Résurrection, non seulement, il va à la recherche de chacun de nous dans son errance, mais il se dessaisit librement de sa vie pour se donner à nous. Agneau pascal, il est notre Pâque, signe de libération intérieure, signe de notre communion à l’Amour du Père et du Fils, promesse d’une mystérieuse habitation à venir de l’Esprit en nous. «Père, je veux que là où je suis, ceux que tu m’as donnés soient eux aussi avec moi et qu’ils contemplent la gloire que tu m’as donnée, car tu m’as aimé dès avant la création du monde».