Homélie du 31 octobre 2004 - 31e DO

Le regard du cœur

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Frères et sœurs, nous le constatons sans cesse, notre monde occidental est envahi par les images, avec pour conséquence un attachement très fort à l’apparence. Le philosophe et sociologue Jacques Ellul nous en a donné une raison il y a bien longtemps, dans un livre un peu oublié « La parole humiliée »: l’image est le symbole et surtout le support de la société technicienne. Et cette image est captatrice, totalitaire, au point qu’il devient difficile de la dépasser, d’aller au-delà des apparences, ce qui est toujours très grave lorsque l’image que nous avons devant les yeux est celle d’un être humain: il n’est plus qu’un objet, disponible à toute technique. Et ce monde ne nous apprend guère à passer de l’apparence à l’être!

Mais la difficulté ne date pas d’aujourd’hui: l’histoire de Zachée est déjà une histoire d’image et d’apparence. Zachée, avant sa rencontre avec Jésus, n’aimait pas se regarder dans une glace: il se trouvait trop petit, il en nourrissait pas mal de complexes. Il avait fait ce qu’on fait souvent dans de tels cas, il avait décidé de se venger sur les autres, en leur faisant sentir son pouvoir, en les pressurant d’impôts. Il ne rêvait pourtant que d’être vu, et même bien vu, mais il n’y réussissait pas. Et comme il semblait que Jésus y avait réussi, lui, Zachée décida de partir à sa rencontre.

Au fait, avez-vous remarqué que Zachée ne voulait pas seulement « voir » Jésus, mais « voir qui était » Jésus ? Le texte grec est clair sur ce point. Peut-être en plus de tout Zachée était-il donc un peu voyeur, parce que comme tous les voyeurs, il pensait que l’apparence donne accès à l’être, et pouvait même se confondre avec lui. L’apparence, il savait bien ce que c’était, lui qui ne s’aimait pas. L’être, il lui fallait encore l’apprendre: mais Jésus va l’y aider.

Jésus lève les yeux vers lui, autrement dit voilà quelqu’un qui décide de le regarder, et qui ne le regarde pas de haut, mais de bas. Rien bien sûr n’obligeait Jésus: il pouvait passer sans le voir, comme beaucoup le faisaient avec Zachée qui en avait déjà souffert, trop de fois, trop longtemps. Mais en plus, il y a son regard. Le regard de Jésus, cela n’a rien à voir, si je peux dire, avec celui de Zachée, avant d’être rencontré : ce regard-là ne s’arrête pas aux apparences considération, et beaucoup d’être?

Frères et sœurs, vous le savez bien, on parle parfois d’un regard de mépris, d’un regard bienveillant et d’autres types de regards encore: mais ce mépris, ou à l’inverse cette bienveillance, naissent du cœur avant d’atteindre le regard. Ce que Zachée reconnaît dans le regard de Jésus, c’est un cœur qui l’aime non pas pour l’image qu’il donne, mais pour ce qu’il est vraiment, en son cœur: l’histoire de Zachée est celle d’un cœur à cœur médiatisé par le regard.

Laissons donc Jésus nous regarder, laissons-le descendre chez nous. Nous apprendrons ainsi de lui le regard du cœur, celui qui fait exister et grandir ceux sur lesquels il se pose, il les dépasse et fait grandir! Pour Zachée, quelle aubaine! Cela n’a rien à voir non plus avec le regard de la foule, qui ne voit que les manques et les défauts : un tel regard rapetisse!

Lever les yeux vers quelqu’un, en effet, c’est lui accorder une certaine considération, et donc lui donner un peu d’être: vous comprenez la précipitation de Zachée à descendre de son arbre. Pour une fois, il existe pour lui-même, et non pas pour son apparence, il n’est pas méprisé, il n’est pas ridicule, même perché sur son arbre: cela vaut de l’or, un tel regard, tout l’or que capitalise Zachée. Cet or là, Zachée pensait qu’il lui donnerait une surface sociale, qu’avec lui il serait enfin quelqu’un et il n’en était rien: comment s’étonner qu’il soit prêt à s’en séparer pour un regard de considération, et beaucoup d’être?

Frères et sœurs, vous le savez bien, on parle parfois d’un regard de mépris, d’un regard bienveillant et d’autres types de regards encore: mais ce mépris, ou à l’inverse cette bienveillance, naissent du cœur avant d’atteindre le regard. Ce que Zachée reconnaît dans le regard de Jésus, c’est un cœur qui l’aime non pas pour l’image qu’il donne, mais pour ce qu’il est vraiment, en son cœur: l’histoire de Zachée est celle d’un cœur à cœur médiatisé par le regard. Laissons donc Jésus nous regarder, laissons-le descendre chez nous. Nous apprendrons ainsi de lui le regard du cœur, celui qui fait exister et grandir ceux sur lesquels il se pose.