Homélie du 28 février 2021 - 2e Dimanche du Carême

Le sacrifice du Christ

par

fr. Édouard Divry

De quoi parlaient Jésus, Moïse et Élie sur la haute montagne ? L’évangile de la Transfiguration selon saint Marc ne l’exprime pas. La première et la deuxième lectures proposées par la liturgie cherchent à nous mettre sur la piste, le sacrifice envisagé d’Isaac par Abraham et la citation de l’épître aux Romains : « Dieu n’a pas épargné son propre Fils, mais il l’a livré pour nous tous » (Rm 8, 32). Il s’agit dans les deux cas de fixer notre attention sur le futur sacrifice du Fils et d’y préparer nos cœurs. Conformément au récit de saint Luc, Jésus aurait effectivement évoqué son exode c’est-à-dire sa Pâque avec ses deux hôtes célestes, Moïse et Élie. À chaque liturgie de la nuit pascale nous le rappelons : Moïse a débuté l’Exode du peuple de Dieu en demandant l’immolation de l’agneau pascal que chaque famille juive devait consommer avant de s’engager à sa suite à travers la mer Rouge et le désert, vers le mont Sinaï et la Terre de la Promesse. Jésus apparaît ici comme un nouveau Moïse qui réalise sur un mode tout spirituel ce que la première Alliance avait révélé à propos de l’unique dessein d’Amour de Dieu pour le salut de son Peuple. Jésus va pareillement vers sa Pâque et invite ses disciples présents à accepter de demeurer fidèles à sa suite dans l’épreuve qui vient.

L’usage du récit de la Transfiguration au deuxième dimanche de Carême remonte à l’Antiquité chrétienne et donne à cette scène évangélique un sens de prophétie sacrificielle avant Pâque qui sera célébrée une quarantaine de jours après (28 février – 4 avril).

Si Moïse a fait débuter l’œuvre libératrice du peuple par un sacrifice, Élie semblablement débute son ministère de libération des Baals, ces faux dieux, par le sacrifice du mont Carmel qui n’épargne pas les sacrificateurs qui tentent d’usurper les attributs de la vraie religion.

Les figures de Moïse et d’Élie se complètent autour de ce que sera le sacrifice du Christ : un sacrifice volontaire, un sacrifice d’amour exclusif pour Dieu, qui en constitue le motif. « Ma vie, nul ne la prend mais c’est moi qui la donne » (Jn 10, 18), dira Jésus alors qu’il se déclare être le « bon pasteur » qui nous guide vers le bercail véritable. C’est aussi un sacrifice sanglant d’immolation à cause de l’expiation nécessaire au salut. « L’Agneau qui enlève le péché du monde » (Jn 1, 29) va être « offert à Dieu » (He 9, 14) en propitiation, c’est-à-dire en expiation selon les mots de saint Paul et de saint Jean (cf. Rm 3, 25 ; 1 Jn 2, 2 ; 1 Jn 4, 10). Jésus en sera le prêtre et la victime. Sa prêtrise, son sacrifice ne sont pas des métaphores. Jésus est grand prêtre selon l’ordre de Melchisédek (cf. He 7-9), lui qui apporta l’offrande du pain et du vin (cf. Gn 14, 17) à Abram, le père de tous les croyants.

Pour authentifier visiblement la grandeur de ce moment, cette acceptation du sacrifice à venir, la transfiguration part du sommet de l’âme glorifiée de Jésus et redonde, surabonde, sur son corps jusque sur son vêtement. La trans-figuration traduit bien le mot grec méta-morphosis comme l’exprime Bède le Vénérable au Moyen Âge : « Le Sauveur est trans-figuré, mais il n’abandonne pas la substance de sa vraie chair » (CCSL 120, p. 205). La transfiguration n’est pas un changement de substance, mais une mutation d’apparence physique, la figura en latin. En grec, la morphè pareillement n’est qu’apparence par rapport à la détermination (eidôs) plus profonde de la substance. Quoi qu’il en soit du risque qu’ont pris les évangélistes à faire usage du mot culturellement situé de la métamorphose, expression parallèle utilisée dans la mythologie des dieux païens, la transfiguration n’apparaît pas en fait au centre du récit, mais bien le sacrifice de Jésus à la Croix. La voix du Père, en confirmant l’importance de cet événement, nous stimule à demeurer fidèles au Fils bien-aimé : « Écoutez-le. » Le Christ y révèle « l’excellence de sa dignité voilée » (Léon Ier, Sermo 51) pour amoindrir voire supprimer, « arracher », l’effet scandalisant de la Croix sur la sensibilité encore peu aguerrie des disciples. Le pontife romain au Ve siècle comprend que cet événement fonde « solidement l’espérance de la sainte Église, en sorte que le corps tout entier du Christ, ayant connu quelle transfiguration lui était réservée, les membres puissent se promettre de participer à cette gloire, qui éclatait en leur Chef ». Il ajoute : « L’exemple du Seigneur invite la foi des croyants à comprendre que, sans avoir à douter des promesses de bonheur, nous devons pourtant, parmi les épreuves de cette vie, demander la patience avant la gloire. » La préface que nous allons prier avant le Sanctus rappellera cette certitude de foi à maintenir lors de la Passion du Seigneur.
À notre tour, demandons pour nous-mêmes la patience dans la pandémie présente et la vigilance quand les lois de la République tentent subrepticement d’ajouter en marche un mal à un autre mal, au mal physique du virus le mal moral de lois éthiques intrinsèquement iniques.

Agissons dans la liberté des enfants de Dieu et luttons courageusement avec des armes de lumière ! La lumière de la transfiguration est au terme de nos peines puisque le Christ nous l’a promis : il transfigurera nos pauvres « corps de misères pour les rendre conformes à son corps de gloire » (Ph 3, 21). Amen.